Curieux film de Martin Scorsese.
…que voilà.
Sur le papier, il s’agit pourtant d’une histoire intéressante : Max Cady, un homme injustement emprisonné, en veut terriblement à son avocat qui n’a pas tout fait pour lui éviter la prison. Le doux magistrat se retrouve harcelé par son ancien client, agressé en mode sourdine, puis acculé à la violence pour protéger sa famille. Cady fait de cette persécution insidieuse un jeu qui le fait jubiler à chaque séquence, même quand il en prend plein la gueule. Mais, sur l’écran, c’est tout autre chose : j’y vois un film bâtard, mi-ciné mi-télévision, plein de qualités et plein d’ignominies.
Du De Niro réchauffé, du musclé, très tatoué, du Robert un peu fat, fruste, poussif, vulgaire, vindicatif, sournois, esseulé, psychopathe, du Taxi Driver « discount ». Du Bob rigolo aussi, hilare - au cinéma avec son cigare… halluciné, inénarrable.
Du Nick Nolte inspiré, binoclard, un avocat qui a l’air d’être né avec une cuillère d’argent dans le cul, riche, propriétaire, circonspect, pudique, peu courageux, et parfois ombrageux.
Jessica Lange voluptueuse, plantureuse, peureuse, courageuse, peu heureuse (en couple), sensuelle, femme d’intérieur sur ses gardes, car le facteur sonne toujours deux fois.
Et enfin Juliette Lewis, dans le rôle de l’ado naïve, la petite pépette pas dupe de ses formes alléchantes, petite sotte un peu intello, lectrice, littéraire, avec du caractère. Brune, prude. Ambiguë aussi, lorsqu’elle se rapproche de l’agresseur de sa famille, en fumant un joint avec lui, en l’écoutant parler théâtre, complètement hypnotisée par le discours et l’aura d’un homme à la fois malsain, repoussant et fascinant.
Une réal’ soignée, avec même d’agréables trouvailles visuelles, mais Martin n’était pas né de la dernière pluie, il savait qu’il serait difficile de faire un deuxième « Affranchis » d’affilée. Il fait du « light », du bon marché, du remake, du sucré, du cinéma de divertissement, de l'american express. Ce n’est pas un projet personnel : Universal proposa à l’auteur, en échange du financement de « La dernière tentation (…) » (1988) ce remake « nerveux » qu’est Cape Fear.
Après l’avoir regardé il y a quelques semaines, il a plutôt bien vieilli dans mon esprit, mais je ne sais pas trop quoi en penser ; un « (grand, non) film malade » selon la bonne expression de Monsieur François Truffaut, correspondrait bien à mon impression mitigée. Le film est assez bien mené de bout en bout, mais une curieuse impression de bâclage, selon moi, s’échappe de la fin, qui lorgnerait presque vers la série B si l’on en croit certaines images d’une qualité douteuse : le bâteau en plastique malmené sur la rivière, un De Niro défiguré par le feu en « Mouche de Cronenberg » qui déclenche le rire malgré lui, …où on est là?
La vérité est qu’à ce moment-là, Scorsese aurait peut-être dû éviter de tourner un énième film avec De Niro, qui fait là une caricature de lui-même. Il s’amuse trop, rigole trop, et par conséquent fait moins peur que ce que son rôle semblait exiger. Saturation d’un duo professionnel au bord de la crise de nerfs, le film reste malgré tout, et aussi étrange que cela puisse paraître, l’un des plus grands succès de Scorsese (à l’époque). A voir tout de même, pour le climat d’angoisse qui parfume le film.