Après un très décevant (pour ne pas être plus méchant) Charlie et la Chocolaterie, pourtant succès public, Tim Burton nous a offert un second film la même année, dans la veine et le style graphique du culte L'étrange Noël de monsieur Jack, pour en faire un joli remake au moment de sa ressortie en 3D.
Reprenant l'intégrale des éléments burtoniens (la musique au piano toujours impeccable de Danny Elfman, les rôles-titres joués par Johnny Depp et Helena Bonham-Carter, l'ambiance gothico-romantique), après cinq minutes de film, il n'y a aucun doute : comme d'ailleurs dans Charlie et la Chocolaterie, on est bien chez Tim Burton.
Comme tout remake, Les Noces Funèbres emprunte beaucoup de thèmes au film d'origine, à savoir Mr. Jack, notamment la collusion entre le monde des vivants et le monde des morts. Mais quand, dans Mr. Jack, on part du monde des morts, dans ces Noces Funèbres on part du monde des vivants.
Il y a d'autres fortes similitudes : le monde des morts est, dans les deux films, un monde joyeux, fêtard et enthousiaste ; le monde des vivants, bien qu'il se révèle bien plus dépressif, triste et gris dans Les Noces Funèbres, l'est aussi dans Mr. Jack.
L'histoire est plutôt simple. Victor (Johnny Depp), fils de nouveaux riches poissoniers, doit se marier avec une fille de nobles ruinés : Victoria (Émily Watson). Après plusieurs péripéties, Victor se retrouvera - contre son gré - marié à un cadavre : la fameuse Corpse Bride Émily (Helena Bonham-Carter).
L'intrigue qui s'en suit se résume à comment Victor préférera le premier coup de foudre avec la vivante Victoria dans un monde triste plutôt que l'amour d'une morte (Émily) dans le monde coloré des décédés.
Beaucoup ont dit que Burton avait changé. Ce changement se situerait dans le temps au moment de la dernière commande de Burton : La Planète des Singes, échec dont on ne reparlera pas.
Depuis, il y a une sévère cassure dans le message des films burtoniens. Big Fish, puis Charlie et la Chocolaterie montrent un Burton plus "adulte" pour certains, plus "réac'" pour d'autres. Quand l'ancien Burton choisit de célébrer la différence, le politiquement incorrect et les freaks en tout genre (comme dans Beetlejuice ou Edward aux mains d'argent par exemple), le nouveau Burton préfère se prélasser dans des choix plus consensuels, usant de son univers au compte-gouttes pour rameuter ses fans tout en dictant un message bien plus discutable. Il faut se rappeler par exemple que l'idole Willy Wonka n'est finalement qu'un patron d'entreprise aux méthodes plus que douteuses, ayant viré du jour au lendemain tous les employés de son usine, mais que l'on continue à admirer et à sculpter avec des bouchons de dentifrice. Il faut également noter que le seul personnage à mettre en doute la magie du monde burtonien (le gamin américain fan de jeux vidéos, dans la séquence ridicule parodiant 2001), se retrouve téléporté en compagnie des singes et de la plaquette de chocolat/monolithe, tandis que les Oompas Loompas chantent le mal que peut faire la télévision, en interdisant la possibilité de rêver et en ne créant que des enfants blasés.
Dans un film de l'ancien Burton, le héros choisirait-il le monde triste des vivants ?
Sans doute que non. Il préférerait jouer et s'amuser dans le jazz-club d'en dessous, rigoler et danser avec les morts, se moquer des vivants et de leur incapacité à s'amuser. Plus même, dans un film de l'ancien Burton, la question n'aurait même pas été posée, tant sa réponse aurait été évidente.
Mais voilà, Burton a grandi, s'est assagi (ou est devenu un vieux con) : il a maintenant une femme, des enfants. Il a compris que l'amusement ne dure qu'un temps, mais qu'il faut savoir faire des choix difficiles dans le monde réel, le monde adulte, terrible, gris et dépressif.
C'est donc un Burton fataliste qui nous parle dans Les Noces Funèbres, où il nous affirme que la vie des vivants est loin d'être toujours rose, qu'il est dur de s'y amuser et même d'y trouver son compte. Mais il nous explique aussi que le jeu et le rêve ne durent qu'un temps, et qu'il faut accepter de voir le monde tel qu'il est, de ne pas se voiler la face. Burton nous montre explicitement ses peurs de grand enfant, qui voit le monde extérieur comme quelque chose d'effrayant, car terriblement triste et morne ; qui préférerait son monde imaginaire (celui des morts) même s'il ne peut désormais plus le choisir car enfermé dans ses obligations (et ses devoirs) d'adulte, de mari et de père. Victoria, amoureuse vivant dans un monde triste, choisie par Johnny Depp/Tim Burton, n'est même pas incarnée par Bonham-Carter (la femme de Tim au quotidien). C'est dire la tristesse de ce monde réel.
Dans Charlie et la chocolaterie, Tim Burton disait en substance : "Les enfants sont de plus en plus immoraux. Ils ne respectent plus rien, ni la bonne nourriture, ni l'autorité, ni la famille, ni le travail bien fait, et n'ont même pas de savoir-vivre. Heureusement qu'il y a encore de ces enfants soudés avec leur famille, respectueux de toutes ces bonnes choses, à qui léguer l'amour du travail bien fait".
Dans Les Noces Funèbres, Burton nous affirme : "Le monde est triste, morne et rempli de gens immoraux. D'ailleurs, mon imaginaire est bien mieux, bien plus joyeux. Mais maintenant, je suis un grand. Donc me voilà contraint à choisir un monde affreux et triste, alors que même ma femme préfère le monde imaginaire."
Affirmation que l'on pourrait traduire par : "la vie me fait peur", dont on pourrait penser au premier abord qu'elle est touchante venant d'un cinéaste qui ose ouvrir à son public ses peurs les plus intimes. Mais il faut se rendre à l'évidence : cette attitude ne peut qu'être condamnée. La fuite ne sera jamais qu'une attitude immature et défaitiste. Burton ne croit plus ni en l'amour ni en l'imaginaire : il file tout droit vers un sombre nihilisme.
En fin de compte, le titre français complet : les Noces Funèbres de Tim Burton, avait tout compris.