Les ogres sont des êtres incompris et donc, malaimés. Ces créatures, maladroites et excessives, impressionnent par leur démesure. Tout comme ces troubadours écrasant tout sur leur passage. Animés par un appétit vorace d’être en mouvement, de vivre pleinement, sans jamais se soucier des conséquences. Bienvenue dans la troupe du Davaï Théâtre !
C’est admis, Les Ogres est une ode à l’amour, une véritable fête. Mais dans n’importe quelle festivité, les joies et les fous rire ne sont pas les seuls invités. Cris, larmes et rancœurs familiales doivent se mêler à ce feu d’artifice qui ne semble pas avoir de bouquet final. Hurler jusqu’à déchirer ses cordes vocales. S’insulter jusqu’à tutoyer le mépris le plus abjecte. Ressasser des contes plus vrais que nature. Et recommencer cette valse à mille temps en faisant du pardon un crédo. Voilà le programme de ce banquet foutraque, où ces dévoreurs de vie surprennent constamment un spectateur désarçonné par tant de vitalité.
Les Ogres s’avère être un candidat sérieux pour le meilleur film français de l’année, ni plus ni moins. Rarement l’immersion n’aura été si lumineuse. Avec une caméra aussi légère que le vent transportant ces artistes itinérants, Léa Fehner capte des corps en fuite, des paroles en l’air. On en oublierait presque le dispositif scénique en s’intégrant radicalement à cette bande de saltimbanques. Lassés de trop aimer, fatigués d’eux-mêmes, où les individualités sont sacrifiées sur l’autel du collectif.
Pourtant, le Davaï Théâtre tient debout, tout comme les 150 minutes d’une œuvre que l’on ne voit pas passer. Un peu comme une existence qui se serait déroulée sous nos yeux sans nous en rendre compte. Pas un acteur ne sort du lot, même si le seul visage d’Adèle Haenel représente un caractère primordial du film : un mélange entre sauvagerie et extrême sensibilité. Néanmoins, tous sans exception participent à la (très) grande réussite de ce film aux ambitions présentes mais non affichées.
Car la création de Fehner est modeste, à l’image des personnages qu’elle filme aussi tendrement qu’un sexagénaire perdu et surpris de se découvrir encore amoureux. À la fin de la fête, Chignol l’accordéoniste entonne, aidé de son instrument, un air de tango. Improvisé, l’air commence par toucher un, deux, puis trois protagonistes. Pour finir enfin par contaminer l’ensemble de la troupe. « Je ne veux rien, c’est une exigence et c’est peut-être une chance de n’être rien », répètent t’ils sous une lumière estivale. L’art de résumer Les Ogres en chanson. Simplement, essentiellement.
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