Le ciel, les oiseaux... et sa mère !
Ce long métrage de 1963 est divisé en deux parties distinctes. La première, que certains cinéphiles obtus jugent trop longue, installe les personnages et nous permet de découvrir en même temps qu'eux le mal qui menace le village de Bodega Bay. La seconde est clairement orientée sur le suspense et l'action : avec ce film, Hitchcock a cherché à surprendre le spectateur encore et encore, et les apparitions impromptues des oiseaux nous laissent dans un sentiment de tension permanente.
Comme d'habitude chez le cinéaste britannique, les couleurs sont saturées, l'actrice principale est blonde, et le personnage masculin porte un "complet" gris. Hitch ne s'est jamais caché pour dire que ses 2 acteurs favoris étaient Grace Kelly et Cary Grant, et avec Tippi Hedren et Rod Taylor, il a quasiment trouvé des clones de son duo fétiche, du moins en ce qui concerne leur aspect physique. Pour le jeu d'acteur, on est un cran en-dessous, mais que voulez-vous, ce bon vieux Alfred souhaitait embaucher des inconnus malléables qui ne feraient pas de caprices sur un tournage qui s'annonçait difficile et coûteux...
Comme le laisse entendre le titre, les stars de ce film, ce sont les oiseaux. Les plus critiques d'entre vous n'auront probablement retenu que les volatiles en carton-pâte qui gesticulent lors des scènes d'action, mais personnellement, j'ai été davantage marqué par les passages plus posés où les corbeaux et autres mouettes sont calmement rassemblés sur les diverses structures métalliques de la ville. La scène où Melanie Daniels fume une cigarette près de l'école pendant que les enfants chantent inlassablement une comptine anglaise fait ainsi toujours son petit effet, 5 décennies après sa sortie.
Mais tout n'est pas sombre pour autant, et Hitchcock saupoudre son film d'une dose d'humour très british, du moins dans sa première demi-heure. Le passage où les inséparables se penchent dans les virages au gré des coups de volant de Melanie permet de détendre l'atmosphère et de duper le spectateur en lui faisant croire qu'il va voir une énième comédie romantique... La fin du film a quant à elle des allures de survival, et lorsque l'héroïne se déplace lentement dans la maison à la seule lueur de sa lampe torche, on assiste là à l'une des scènes les angoissantes de toute la carrière d'Hitchcock.
La retranscription des mentalités d'un petit port isolé m'a également beaucoup plu. Le déni total du policier local n'est pas sans rappeler la réaction du maire des "Dents de la Mer" après la première attaque du requin, et dans leur ensemble, les autochtones hauts en couleur qui peuplent la petite bourgade californienne m'ont semblé tout droit sortis d'un bon vieux livre de Stephen King.
Contrairement à beaucoup de fans déçus, l'absence d'explication sur le comportement des oiseaux ne m'a pas gêné le moins du monde. Après tout, ce ne sont que des animaux, et donner une explication rationnelle à leurs assauts répétés aurait été absolument ridicule. Hitchcock était conscient de ce trou dans le scénario, et il le revendiquait ! D'après lui, ces attaques sans motif ni avertissement devaient réveiller une peur primitive chez le spectateur pendant et après le visionnage, et si explication il y avait eu, le film n'aurait tout simplement pas eu le même impact sur le public. On peut être d'accord ou non avec cette théorie, mais une chose est sûre : un jeune réalisateur américain alors inconnu avait bien retenu la leçon du maître quand il s'intéressa 12 ans plus tard aux aventures de Bruce le requin...
Aussi excellent soit-il, ce thriller comporte tout de même quelques petits défauts. Outre les effets spéciaux qui ont logiquement vieilli avec les années, on pourra regretter que le complexe d'Œdipe de Mitch Brenner n'ait pas été plus approfondi : à plus de 30 ans, l'avocat vit toujours chez sa mère, et aussi incroyable que cela puisse paraître, cette dernière a son mot à dire dans la vie amoureuse de son fils ! Mitch est un personnage ambigu qui aurait gagné à être étoffé : malgré sa belle carrière, il est incapable de couper le cordon, et sans forcément s'en rendre compte, il tombe amoureux d'une femme qui est le sosie de sa mère (cf. la scène de l'appel téléphonique où Hitchcock souligne subtilement la ressemblance entre Lydia et Melanie). Annie Hayworth est un autre personnage complètement sous-exploité par le scénario : cette institutrice incapable de faire le deuil d'une liaison avait un vrai potentiel, et j'aurais aimé la voir se confronter une bonne fois pour toutes aux Brenner plutôt que de rester aussi morne et résignée tout au long du film. Enfin, et là j'avoue que je chipote un peu, qui peut croire qu'un type d'environ 35 ans ait une sœur de 11 ans ? Seriously, Alfred ?