Ce long-métrage d'Alfred Hitchcock a marqué d'une empreinte indélébile l'histoire du cinéma. "Les Oiseaux", film inspiré de la nouvelle éponyme de Daphné du Maurier, est un tour de force du maître du suspense. Ce film conte l'histoire de Melanie Daniels, une femme séduite par un avocat, Mitch Brenner, rencontré dans une boutique d'oiseaux. Ce dernier recherchant des inséparables, Mélanie prend l'initiative de les lui rapporter au domicile de sa mère, où il passe ses week-end. Cet endroit, Bodega Bay, représente le lieu de déroulement du film. Les événements prennent une tournure inattendue avec l'apparition de plus en plus marquée de volatiles sur la baie.
L'intrigue est brillamment mise en place, le danger ne se présente pas dans la première demi-heure, réservée à l'exposition. A la manière d'un "Psychose", sorti en salles trois ans auparavant, cette oeuvre connecte deux intrigues différentes : d'une part, Hitchcock traite de Melanie et de son attrait démesuré pour Mitch (romantique), d'autre part d'une invasion d'oiseaux déstabilisante pour un lieu d'ordinaire aussi calme (dramatique, puis horrifique pour l'époque). Les plans larges d'Hitchcock et sa vue subjective nous placent dans le rôle de simples témoins d'une catastrophe imminente, à laquelle les riverains ne peuvent échapper. Les différents moments marquants se succèdent dans la seconde partie du film, avec la perte de sang froid totale des habitants de Bodega Bay. Cela donne lieu à une suite de séquences d'exception, dont celle où Melanie Daniels allume une cigarette devant l'école, avant de surprendre un amas de corbeaux, puis l'incendie à la station essence.
L'émotion est palpable grâce aux prestations excellentes des différents acteurs ; nous en retiendrons trois : Tippi Hedren, Rod Taylor et Jessica Tandy. La première, mannequin, tourne dans son premier film et parvient sans problème à nous transporter dans un monde terrifiant. L'usage répété (et judicieux) de la vue subjective chez Hitchcock, associé à une mise en scène remarquable, fait bel et bien de Melanie le personnage central de l'intrigue, les différentes péripéties faisant suite à son arrivée sur la baie. Rod Taylor porte quant à lui avec brio le rôle de l'homme protecteur, un personnage chéri à la fois par Melanie et par sa mère, qui peine à lui laisser une liberté sentimentale. Cette dernière est interprétée par Jessica Tandy, dont l'expérience apporte du coffre à une Lydia omniprésente auprès de Mitch après la mort de son mari.
Hitchcock se lance un nouveau défi après ses derniers succès ( "Sueurs froides", "Psychose"), qui lui donnent une légitimité certaine dans ses différentes entreprises (rappelons qu'Hitchcock est la personne la plus populaire de ce film) ; ici, le réalisateur fait un choix ambitieux : son oeuvre ne comportera aucune musique. Les seuls sons qui servent de fond sonore sont ceux des oiseaux, la plupart inventés par une machine, et d'autres bien réels ( de vrais oiseaux ont été utilisés pendant le tournage). Bien que la musique de Bernard Herrmann, qui représente un plus indéniable aux derniers films d'Hitchcock, est absente de cette oeuvre, l'usage du son est une réussite. Les différents moments de silence soulignent la tournure inquiétante des événements et ne font pas défaut à un cinéma contemplatif comme celui d'Hitchcock. "Les Oiseaux" est donc une oeuvre en tous points réussie. Au-delà du film en lui-même, l'intrigue nous offre un miroir de la nature humaine et de son caractère incertain. Alors que les oiseaux sont exposés dans des cages dans la boutique au début du film, ils exercent par la suite une emprise sur les humains, qui ne trouvent pas d'explication rationnelle à ces attaques (en témoigne la scène du bar). Bouleversés par des choses qui les dépassent, les hommes semblent perdre leur hégémonie et leur union, pour ensuite se retourner les uns contre les autres.
Ce travail cinématographique nous renvoie donc à une réflexion sur le caractère imprévisible de notre société. A l'aide de ce film, Hitchcock réussit à nous instruire, et plutôt deux fois qu'une : il délivre avant tout une leçon de cinéma, mais aussi dans une moindre mesure une leçon sur l'humanité. Brillant.