Après un excursus aux États-Unis pour le très mineur Les Frères Sisters, Jacques Audiard revient avec Les Olympiades, film coécrit avec Céline Sciamma et Léa Mysius. Un diagnostic sur l’état relationnel d’une génération de (pré-)trentenaires parisiens en plein doute, tant du point de vue familial que professionnel, amoureux et sexuel.
Les Olympiades est un film structuré en tripartition : trois personnages principaux aux trajectoires a priori indépendantes, mais dont les chemins finiront par se croiser. Camille (Makita Samba), trentenaire célibataire et professeur au lycée en manque de reconnaissance pour son travail ; Émilie (Lucie Zhang), jeune adulte en profond manque affectif, navigue entre petit boulot et vie de famille compliquée ; Nora (Noémie Merlant), trentenaire déboussolée dans sa vie sentimentale et en pleine reprise d’études. Trois portraits qui alternent au gré d’un montage simple mais efficace ; trois façons d’exprimer la solitude et le besoin d’amour chez des individus qui ne sont pas à proprement parler « déprimés », mais à qui le quotidien n’offre guère d’épanouissement.
L’atmosphère du film, qui est un de ses gros points forts, est travaillée avec intelligence : les noirs et blancs donnent à la fois l’impression d’une vie sans chaleur, incolore, emprisonnée dans une morosité générale, et recréent par leurs contrastes une luminosité assez irréelle, qui esquisse un Paris statufié, hors du temps, où l’on a du mal à distinguer le jour de la nuit, le soleil de la grisaille. Un monochrome qui prend aussi vie grâce à la superbe bande-son électro de Rone : les sonorités métalliques se marient parfaitement avec ce 13e arrondissement parisien, quadrillé d’immeubles imposants aux lignes fuyant jusqu’au ciel ; le tempo, à la fois calme et énergique, traduit bien le caractère des personnages mus par cette même force tranquille tout en équilibre.
Les Olympiades fait du bien parce qu’il parle d’un milieu social dont on a moins l’habitude dans le cinéma français d’aujourd’hui. Plutôt que de réduire Paris à des banlieues précaires en guerre contre les forces de l’ordre (comme dans beaucoup de drames sociaux actuels), ou bien à une bourgeoisie animée par les crises de couples entre deux postures racistes (la plupart des comédies françaises depuis quinze ans), Jacques Audiard pose sa caméra devant une classe moyenne ni pauvre ni riche, mais qui représente finalement une bonne partie des spectateurs. De ce fait, on s’identifie entièrement à ces personnages, pour peu qu’on se retrouve dans leurs galères professionnelles ou sentimentales, ou simplement dans leurs doutes existentiels.
Que ce soit Camille, Émilie ou Nora, tous les trois font face à des problèmes avant tout relationnels : Émilie et Camille sont dans une impasse avec leur famille (et notamment leurs sœurs), Camille couche avec sa colocataire puis une collègue de boulot, Émilie se perd sur Tinder, Nora se sent tellement exclue de sa promo d’université qu’elle se lie d’amitié avec une « cameuse »… Un certain malaise social imprègne toute tentative de communication, la mise à nu de soi à l’autre – au sens littéral comme figuré – dévoile une vulnérabilité qu’on essaie par ailleurs de cacher derrière des postures… L’empathie s’écrase devant la peur du jugement, la confiance s’étiole à force de harcèlement… Le sexe devient un exutoire qui donne l’illusion de combler un vide affectif abyssal par des rapports charnels intenses… « C’est comme si la place qu’elle avait n’avait jamais rempli le vide », conclura Camille de sa relation avec Nora.
Les arcs de Camille et Émilie semblent moins didactiques et plus légers : il s’agit de reprendre confiance en soi (à l’image de la sœur de Camille, dont le stand-up devient un remède au bégaiement), de rappeler le besoin d’être enthousiaste ou d’encourager ses proches, et plus généralement de retrouver une forme d’innocence loin du cynisme ambiant. Ces deux segments, qui s’entrecoupent énormément, dégagent une douceur et une bienveillance assez extraordinaires. L’arc de Nora est plus grave, plus passionné et s’attaque plus directement aux questions d’orientation sexuelle, d’évolution des mœurs et d’émancipation féminine. Porté par une Noémie Merlant stupéfiante, ce segment offre à la fois certaines des meilleures scènes du film (les discussions nocturnes par webcam, des scènes de sexe bouleversantes de sincérité, le baiser final dans le parc, etc.) et peut-être la seule à être ratée (une séquence de moqueries en plein amphithéâtre totalement ridicule, digne d’un clip anti-harcèlement de l’Éducation nationale).
Les Olympiades parle de beaucoup de choses sans pour autant en faire des sujets, et là est son indéniable délicatesse. Une balade qui réussit à convertir la tristesse en gaieté, malgré un diagnostic social en demi-teinte et certains obstacles qui demeurent finalement insurmontés. Le regard féminin de Sciamma et Mysius, allié à la sensibilité d’Audiard, permet la naissance de personnages attachants malgré leurs défauts, forts malgré leurs failles, qui partagent à l’écran un épisode de leur vie – qui est, à bien des égards, aussi la nôtre.
[Article à retrouver sur Le Mag du ciné]