La dimension magnifique à laquelle s'apparente Les Parapluies de Cherbourg est celle de cette contemplation sur plusieurs années d'un amour tiraillé entre la séparation subite, la guerre, la mort, le temps et la vie ! Jacques Demy peut paraître à la surface tomber dans une sorte de rêverie musicale lourde et niaise, mais s’avère au final proposer un véritable conte difficile et complet sur la question de l'amour de jeunesse.
Dans un Cherbourg utopiste, coloré et vivant, naît un jeune amour passionnel entre Geneviève (Catherine Deneuve) et Guy (Nino Castelnuovo). Geneviève travaille dans le magasin de parapluies de sa mère protectrice en centre-ville. Quant à Guy, il travaille dans un garage pour tenter d'aider sa marraine malade qui l'héberge depuis petit. Les deux tourtereaux s'aiment passionnément et voient de forts horizons concernant leurs avenir à deux. Mais lorsque la réalité revient assombrir les vives couleurs de Cherbourg, Guy se voit dans l'obligation d’effectuer son service militaire de deux ans en Algérie, alors en pleine guerre. De ce rapide départ, Geneviève est inconsolable et tombe rapidement dans l'enfer d'une vie partagée entre le mépris de sa mère pour Guy, un enfant qu'elle attend alors qu'elle à 17 ans, un riche jeune homme venant lui demander sa main, et enfin l'attente interminable du retour du Guy. C'est ce magnifique visage d'une jeune Catherine Deneuve tiraillée par l'amour de jeunesse et ses dérives. Les doutes, la peur du futur et la pression non-négligeable d'une mère voyant déjà sa fille dans les bras d'un riche homme pouvant lui apporter sérénité et prospérité, vont s'avouer comme des nuages venant cacher le soleil au dessus de Cherbourg.
Malgré sa façade joyeuse et plaisante grâce à ces couleurs environnantes et une insouciance extérieure, Les Parapluies de Cherbourg s’avère être une véritable oeuvre sombre et dure qui parle purement et simplement de la vie et de sa facette la plus dure : la guerre comme raison d'une absence et dont les horreurs planent dans les lettres entre Geneviève et Guy; la question d'un mariage forcé; la mort qui n'est plus oubliée dans les comédies musicales; et la déception amoureuse qui ronge les personnages. Comme cité à l'instant avec la question du mariage arrangé, Jacques Demy évoque donc ici l'attrait inévitable de l'humain pour un avenir sécurisé par l'argent au profit d'un amour passionnel, mais précaire. Malgré ces pensées toujours orientées vers le retour de Guy, Geneviève finit par se marier avec le monotone mais riche : Roland Cassard (Marc Michel). Une véritable question sociologique qui rentre à la fois comme en conflit avec le calme et l’ensorcellement de ce film, et à la fois comme un bénéfice qui donne de la matière à un long-métrage qui aurait pu tomber dans un récit banal.
Jacques Demy promène sa caméra avec virtuosité en compagnie de ces personnages tourmentés et noyés dans les couleurs et la joie de Cherbourg. Ici, les danses typiques d'un musical sont ignorées au profit de dialogue uniquement chanté sur les notes féeriques de Michel Legrand. Un choix compliqué à réaliser et qui amène au film à la fois une légèreté et en même temps une facette émotive qui ne peut laisser le spectateur indemne de tout ressentiment. On sent encore aujourd'hui la force qu'a laissée ce long-métrage dans le spectre cinématographique, comme par exemple cette scène finale de retrouvaille dont les émotions sont encore palpable 53 ans plus tard avec La La Land de Damien Chazelle !
Les Parapluies de Cherbourg est un moment étonnent et mémorable de cinéma où l’insouciance musicale se mélange aux difficulté de la vie et la déception amoureuse qui peut ronger un homme. Jacques Demy n'est pas nommé comme une figure du genre pour un rien. Son talent permet de questionner et d'émouvoir le spectateur face à des dilemmes réalistes et d'une dureté profonde, à travers une oeuvre complètement idéaliste !