C'est la première fois que je me confronte au cinéma de Jean-Christophe Meurisse. J'avais juste entendu des échos comme quoi son cinéma allait très loin dans le cynisme et l'humour noir, n'hésitait pas à foncer comme un bourrin pour ce qui est de dépeindre l'être humain dans ses côtés les plus crades, les plus bassement médiocres, mesquins, et que niveau graphique, on n'était pas non plus épargnés.


J'ai pu le constater dès l'introduction, lors de laquelle deux médecins légistes échangent nonchalamment, en pratiquant une autopsie (ouais, ne commencez pas à manger dès le début si vous avez apporté quelque chose à grignoter... attendez un peu !), entre autres, sur la fascination que les faits divers atroces exercent sur l'esprit humain. Plus c'est horrible, plus ça attire. La suite m'a confirmé ce ton volontairement rosse du cinéma du réalisateur.


Les Pistolets en plastique s'inspire, sans s'en cacher le moins du monde (il suffit de regarder l'affiche !), de l'affaire Xavier Dupont de Ligonnès, et, rattachée à cette dernière, de l'arrestation, à Glasgow, du malheureux Guy Joao, qui avait été pris, à tort, pour l'autre gros tas de merde, avant que l'ADN le disculpe heureusement. Petite précision, les noms ont été changés. Et ce n'est pas un biopic ; c'est une comédie qui se base librement sur des faits réels, qui s'en sert comme fil conducteur.


Bon, on suit toute une galerie de personnages, du Danemark (remplaçant l'Écosse !) à l'Argentine (lieu idéal de refuge pour les criminels en fuite depuis 1945 !), en passant par Quetigny (oui, le cadre des assassinats a été déplacé de Nantes aux alentours immédiats de Dijon... euh, c'est gentil pour les Bourguignons !) qui vont se retrouver, volontairement ou non, liés à cette atroce affaire. Et pour rendre le tout encore plus subversif et malaisant, un innocent a l'apparence et le comportement d'un tueur asocial, un coupable se dissimule derrière la façade d'un bon gars sympa, fêtard, bon vivant, attentionné (petite précision, pour l'identification du meurtrier des membres de sa famille, son nom est affiché à l'écran la première fois qu'on le voit... donc, je ne spoile pas !).


Tout ce petit monde est ridicule, a quelque chose de méprisable. On rit de celui-ci sans complexe (tout en préférant éviter de se dire qu'on est bien plus proches de ces énergumènes qu'on le voudrait !). C'est un défonçage en règle de ce qu'est ce bipède soi-disant civilisé. La seule grande exception vient d'un homme gravement défiguré, le seul à être décent et sain d'esprit parmi tous ces névrosés... euh oui, on ne le répète jamais assez, il ne faut jamais se fier aux apparences, bordel de merde...


Si tous les acteurs sont excellents dans l'exercice (comprenant, en bonne partie, des membres de la troupe théâtrale de Meurisse, "Les Chiens de Navarre", mais aussi des figures un peu plus connues, passant chacune, principalement le temps d'une scène, pour faire coucou, à l'instar de Jonathan Cohen !), que tous sont pleinement à l'aise pour incarner la débilité la plus profonde, je tiens à faire une mention spéciale à la comédienne Lula Hugot (ce serait son nom si je me fie à IMDb, mais n'hésitez pas à me corriger si je me trompe !), incarnant magistralement la concierge d'immeuble quetignoise, qui débite, avec un naturel désarmant, un monologue contenant les pires relents racistes, homophobes, xénophobes qui soient, trouvant même le moyen de plaindre le tueur fugitif, tout en insultant les victimes. C'est une telle accumulation, en mode ultra-rapide, des abjections les plus énormes, des opinions les plus connes, mais connes de chez connes (on est dans l'ordre de l'"exploit" !), qu'il est difficile de ne pas tomber dans l'hilarité. Ce qui est renforcé, en contrepoint, par la réaction, gênée et pas franchement réceptive, du couple de détectives du dimanche qui l'entend. Non, mais donnez-lui un César... je m'en fous qu'elle ne soit que deux minutes à l'écran, donnez-lui un César... elle est géniale cette comédienne...


Sinon, une séquence détonne par rapport à toute l'ambiance générale, c'est celle du massacre de la famille par le mari. C'est filmé froidement, implacablement, sans la plus petite parcelle sardonique. Les bouches ne font que se crisper. L'effroi et la colère reprennent d'une manière écrasante leurs droits. Et tout ceci a une raison d'être, à savoir nous ouvrir les yeux sur le fait que le type, ayant l'air le plus équilibré, le plus cool de toute la bande, qu'on ne parvenait pas à visualiser autrement (y compris en connaissance de cause, en raison de nos biais cognitifs sociaux !), est aussi une saloperie narcissique immonde, capable de se dénuer de la moindre empathie, de commettre le pire du pire et de vivre ensuite, détaché, sans le plus minuscule remord.


Par contre, j'ai une très grosse réserve quant à une autre scène. Pour ne pas trop en balancer, ça concerne un ustensile de cuisine, utilisé lors des repas. Cette scène, très choquante dans son unité, n'est choquante que pour choquer et rien d'autre. C'est de la gratuité purement et simplement. OK, même l'être le plus inoffensif, le plus pacifique, le plus altruiste, peut être amené à se transformer en monstre, selon les circonstances ; là n'est pas le problème de crédibilité. Ce raté n'est pas la conséquence d'une intention de "choquer pour uniquement choquer" du réalisateur, mais celle d'une négligence de l'écriture, qui ne parvient pas à faire couler de source un tel degré d'irrationalité dans l'aveuglement et dans la haine. Si quelques minutes supplémentaires avaient été consacrées, auparavant, à creuser cet aspect des choses, ce cheminement psychologique, il n'y aurait pas eu ce loupé.


Bon, sinon, point de vue mise en scène, il y a une utilisation habile du son et de la musique pour injecter encore plus de tension à certains rebondissements ; il faut le signaler. Et globalement, pour avoir affaire à un cinéma français aussi "affreux, sale et méchant", il faut bien remonter aux premiers longs-métrages d'Albert Dupontel, mais intégré à une réalité plus tangible et sans la présence de cartoonesque (chacun sa patte !). Décidément, la capacité de notre espèce à se surpasser dans la bêtise est une source intarissable pour activer les zygomatiques, quand on en a marre d'épuiser ses glandes lacrymales.

Plume231
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le 25 juin 2024

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