En 2019, cinquante-trois ans après sa Palme d'or (ou plutôt son Grand Prix International du Festival, comme on l’appelait alors) pour Un homme et une femme, Claude Lelouch remet le couvert et réunit une dernière fois Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant dans les rôles des deux amants désormais cultes. Et bon point, Lelouch fait le choix d'ignorer la première suite sortie en 1986 (Vingt ans déjà) pour se replacer directement dans la continuité de l'original. Et tant mieux : je n'avais pas aimé Vingt ans déjà, qui échouait à recréer une quelconque émotion (si ce n'est une franche frustration), partait dans tous les sens et multipliait les personnages et les intrigues inutiles : autant d'écueils qu'évite Les plus belles années d'une vie.
Ici, on retourne à l'essentiel : un homme et une femme. Sauf qu'ils ont désormais 87 et 88 ans et que lui croupit dans une maison de retraite. C'est d'ailleurs sur lui que s'ouvre le film, avec ce long plan sur le groupe de vieux de la maison de retraite, qui participent à un quizz pour travailler leur mémoire. La responsable du domaine pose les questions et les vieux répondent tous, plus ou moins en chœur, alors que le plan se resserre lentement sur l'un de ces vieux, le plus petit, le plus rabougri, le seul à ne rien répondre, et qui paraît complètement déconnecté : Jean-Louis Trintignant. Et alors que les autres répondent à voix haute aux questions, lui a l'air complètement perdu. Le voir si diminué et si fragile est franchement déchirant. Et on plonge alors dans son esprit et on comprend qu'il repense à la femme qu'il a rencontré en 66. Parce qu'il perd maintenant la mémoire et elle est le seul souvenir qui lui reste, la seule femme à laquelle il pense encore, plus de cinquante ans après.
C'est pourquoi son fils décide alors d'aller chercher cette femme, Anne, afin de lui demander d'aller voir son père. Ce qu'elle accepte. Et elle se rend à la maison de retraite pour le voir. Mais, alors qu'il ne pense plus qu'à elle dans ses souvenirs, il ne la reconnaît pas lorsqu'elle se présente à lui... et il va lui parler de cette femme qu'il a aimée. Et là, il y a ce dialogue entre eux deux, isolés du reste des vieux, tous deux assis dans le jardin, qui se reparlent pour la première fois depuis cinquante-trois ans. Et le dialogue doit bien durer vingt minutes, filmées en champ-contrechamp, vingt minutes de gros plan sur ces deux visages tous ridés, si familiers et si fascinants et bercées par le son de leurs voix. C'est émouvant, c'est juste bon. Et je dis que ça durait vingt minutes, mais je n'en ai aucune idée, ça en a peut-être duré dix, peut-être quinze, peut-être vingt-cinq, je sais pas. J'en ai perdu la notion du temps, j'étais simplement captivé par le spectacle de ces deux visages et le son de leurs voix. Quelle émotion !
Et le film alterne ces scènes de dialogues poignantes entre les deux personnages, leurs escapades fantasmées par lui qui se perd dans ses songes, et les flash-backs du film original. Et c'est parfaitement dosé, l'articulation entre ces trois éléments est bien fluide et le film est un plaisir à suivre. C'est très mélancolique, parfois drôle, parfois excitant, parfois déchirant (cette réplique d'Anne qui explique que ce qu'elle aimait chez lui à l'époque, c'était son "côté mec", et qu'elle ne l'a pas retrouvé en le revoyant, que ça lui avait fait de la peine de le voir si diminué, si faible...). C'est vraiment très beau.
Et, presque avant de conclure, Lelouch te ressort son court-métrage formidable qu'il avait réalisé en 1976, C'était un rendez-vous, dans lequel il traversait Paris à fond la caisse, sur lequel il superpose ici la scène de sexe d'Un homme et d'une femme et des plans de leurs visages (les trois scènes simultanément) : mais quel pied...
Bref, c'est vraiment très bien. L'épilogue que personne n'attendait de son film culte (déjà très bien), mais qui se révèle une superbe surprise. Profondément bienveillant, résolument optimiste, pas une once de cynisme, juste de la nostalgie et de la tendresse pour ces deux petits vieux, qui sont passés à côté d'une vie ensemble, parce que c'était trop parfait, parce que ça lui faisait peur. Et ça fend le cœur.