Premier film, et film choc de Bellocchio, Les poings dans les poches est un huit clos mettant en scène dans une bourgade retirée du nord de l'Italie une famille dont les membres souffrent tous ou presque, à une échelle variable, de troubles physiques et/ou mentaux.
Le titre renvoie d'emblée à la frustration habitant le protagoniste, Alessandro, qui retient toute la rage accumulée dans ses poings fermés, jusqu'à au point où il explose dans des accès de colère irrépressibles. Ce qui déroute le spectateur, c'est la futilité des mobiles des crimes (Par simple amour du gain? Par égoïsme? Par lassitude de la famille? Par soif de mal, pur désir de destruction, instinct de mort, volonté de renverser l'ordre établi?) qu'il commettra ainsi que la cruelle froideur (la scène horripilante de la salle de bains - avec l'émail de la baignoire, la blancheur du savon dans l'eau et les mains de Sandro - participe à cette sensation) avec laquelle il s’exécutera.
Dans une mise en scène magnifique, où chaque plan a été soigneusement réfléchi, les corps s'interpellent, se bousculent, s'enlacent, crient, pleurent, … emportés malgré eux dans une folie qui croît progressivement jusqu'au paroxysme de la crise finale, magnifiquement filmée, dans une caméra se distordant à l'image du personnage, l'accompagnant au sol en plongée dans son vertige démentiel.
La démence caractérise donc ces personnages, de Leone le frère attardé (consanguinité?) à la mère aveugle en passant par la parfois trop frivole Giulia ou Alessandro pris de crises d'épilepsies et de pulsions incontrôlées. Ce dernier surtout, en jeune adulte, évolue toujours dans l'espace du *bord*: du dehors (avec le précipice), mais surtout du dedans (frôlant toujours la folie, l'inceste, le meurtre, la mort, … et y sombrant parfois comme dans un gouffre ). La scène de l'enterrement de la mère mise en bière est hautement symbolique: comme un enfant, il saute d'un côté à l'autre du cercueil comme pour défier la mort avec laquelle il s'amuse (il dira d'ailleurs qu'un jour tout sera comme avant - c'est-à-dire que les morts reviendront – dans un déni du réel qui prouve son insouciance juvénile). Le seul personnage qui ne semble pas atteint de ces symptômes cliniques est Augusto, l'aîné. A la mort de sa mère, il essaiera d'échapper au piège de cette maison qui défaille mais sera rattrapé par le poids de la famille et s'y installera finalement avec Lucia, sa fiancée.
C'est donc dans un espace principalement fermé, ne connaissant pas de réelles issues (même le lieu où ils s'amusent et dansent est clos) qu'ils se meuvent, tragiquement liés aux leurs. Si aucune porte ne leur est permise, il se trouve que même le village n'offre aucune solution puisque, comme le dit Sandro, il se trouve «condamné à consumer [s]a jeunesse dans ce pays de sauvages».
D'une beauté effrayante et aussi glaciale que la saison où se déroule le récit (l'hiver, sa neige), *Les poings dans les poches* est un chef d'oeuvre de Bellochio qui rappele par son renversement des règles *The servant* de Pinter sorti deux ans avant ou par son esthétique le grand Visconti.