D'entrée, le narrateur nous fait part du désenchantement de Paris, passée l'exaltation de la Libération. Sur le bonheur de l'été est retombée la nuit. C'est dans cette nuit oppressante que Carné et Prévert ont puisé les personnages de ce drame. Ces noctambules se croisent, s'aiment ou règlent des comptes, dans la brume et l'humidité, en attendant le retour métaphorique du jour.
Le Film de Marcel Carné est un film complexe, ou plutôt multiple. Polémique par l'opposition entre anciens résistants et anciens collabos, sentimental par l'histoire d'amour naissante entre Yves Montand et Nathalie Nattier, merveilleux par le caractère irréaliste de cet amour, drôle par ses personnages fantaisistes, douloureux par la mort au bout de la nuit...La variété des tons rejoint celle des protagonistes. Il pèse sur le quartier de Barbès une atmosphère lourde et une indicible détresse en cette nuit où le destin de chacun sera bouleversé. Le destin, Prévert le personnalise sous les traits inquiétants de Jean Vilar, annonciateur désespérant de drame.
Ce compromis de réalisme social et de poésie pessimiste prouve, une fois de plus, dans cette troublante histoire, le talent conjugué de Carné et Prévert (et Trauner). Les comédiens sont formidables (quel plaisir de rencontrer Carette et Saturnin Fabre!) et la musique célèbre de Joseph Kosma achève de nous charmer.