Le bonheur est dans l’à-peu-près
Au moment de voir le film, trois petites choses m'ont poussé à prendre un ticket. Tout d'abord le triptyque improbable derrière le film, Spielberg, Winfrey et Besson en l'occurrence. Les deux premiers ont produit le film quand le dernier a "fourni" les décors de ce film. De plus, "Les Recettes du Bonheur" est tiré d'une histoire vraie et adapté d'un roman. Enfin, l'affiche comme les synopsis lus laissaient penser que des thématiques assez fraîches allaient être évoquées. Pêle-mêle la cuisine, son internationalisation et les tribulations familiales dont la raison d’être est de promouvoir la gastronomie indienne à l’étranger.
On suit donc ici le parcours d’une famille indienne forcée à l’exil pour raisons politiques et qui après avoir tenté de s’installer en Angleterre, devra s’installer en France par un "heureux" concours de circonstance et y établir un restaurant indien…en face d’un restaurant étoilé.
Le cadre installé, on comprend très vite que la promiscuité des deux restaurants va être sujette à bien des situations et véhiculer son lot d’intrigues : la compétition entre les deux établissements, les différences de vue dans la perception et l’élaboration d’un plat, le décalage entre deux restaurants concentrant les qualités et les défauts de leurs cultures culinaires.
Si l’intrigue semble plus qu’intuitive, on ne peut que s’incliner tant le film est "catchy" : pas trop mielleux, avec ce qu’il faut de consensus (pas trop cynique mais pas trop "United Colors of Benetton") mais sans pour autant tomber dans la naïveté consternante (mention spéciale à la manière de dépeindre le milieu très hiérarchisé et ultra-concurrentiel voire mercantile à outrance de la restauration). A contrario, très clairement, le film n’évite pas certains faux-pas, mais curieusement ce sont ces derniers qui ajoutent une certaine valeur ajoutée au film : ainsi, Mme Mallory où l’incarnation-même donc de la gérante de restaurant "à la française" est incarnée par…la succulente Helen Mirren, actrice britannique. Passée cette incongruité, retenons le jeu impeccable de l’actrice qui va jusqu’à « franciser » son anglais. De plus, le film n’échappe pas à une dichotomie largement évoquée au moment de projeter une image de la France : oui le film nous sert cette sempiternelle opposition entre cette Province soi-disant parfumée, aux paysages lisses, naturels, aux produits sains et à la qualité irréprochable (jusqu’à filmer les légumes comme dans un spot publicitaire en faveur d’un Office du Tourisme) et ce Paris élitiste, à la cuisine (trop) contemporaine et dont la cuisine est le reflet de son ambiance frénétique et décadente. Idem aussi dans la « personnification » de cette France : le maire du village est interprété par Michel Blanc (et affublé d’une potiche pardon de sa conjointe aussi utile dans ce film que l’est la crème liquide dans une sauce carbonara) sorte de « franchouillard » gourmand mais sympathique, les paysages mis en avant frôlent la tromperie sur marchandise et donnent une vision presque passéiste de la France. Pour moi, un ultime exemple illustre cette vision caricaturiste de la France : les costumes, les décors voire les voitures utilisées laissent cette impression d’une France vieille et « éternelle » (pendant plus du tiers du film, j'étais persuadé que l'intrigue du film se déroulait durant le septennat de Giscard)…quelle surprise donc de voir que le film est bien contemporain, vu que la monnaie utilisée est bien l’euro…
Du coup, on comprend que ces "raccourcis" étaient nécessaires pour rendre ce film plus "fédérateur". Cependant cette nécessité, cette obsession du "feel good movie" atteint très vite ces limites et le film se contente d'être superficiel pour ne pas perdre en rythme. Que ça soit l’exil de la famille, l'achat et la construction du restaurant de la famille Kadam, le nécessaire pas en avant que devra effectuer Hassan Kadam en allant à Paris…cet empaquetage de bons et nécessaires sentiments frisent la caricature et ce pour ne pas perdre l'attention du spectateur...du coup par moment, le film sent le "réchauffé" et le film "contenant additifs et conservateurs". Le point ultime de ce côté "bon sentiment" se situe dans l’opposition entre cuisine traditionnelle/cuisine moléculaire et son dénouement alambiqué. Très schématiquement, il s’agit donc de "diaboliser" cette cuisine moléculaire et lui faire endosser les habits et maux de la société "actuelle" : caractère instantanée, "innovation" à outrance et retour sur investissement immédiat. Dommage d'occulter le travail de recherche fait par ce courant pour des cuissons plus saines, plus eco-responsable... Pire, c’est l’image de la France qui souffre de ce raisonnement. Au fond, dans ce film, la gastronomie française restera cette cuisine séculaire, sectaire, ancrée et figée dans le marbre. Un monument voué à être immuable, incassable. Loin d’être totalement fausse, cette vision aurait méritée un meilleur développement, plus de subtilité dans les conclusions, un meilleur dénouement et un jugement moins péremptoire.
Néanmoins, l’impression d’ensemble donne presque envie de "fermer les yeux" sur ces raccourcis. Le film remplit bel et bien sa mission (divertir, éveiller nos papilles et proposer une histoire familiale et romantique) et permet de passer un bon moment. L’arrogance française au moment de remettre en question des recettes qui ont fait leurs preuves, ce complexe de supériorité quant à la place de la France sur l’échiquier gastronomique, cette soif de notoriété et d’immortalité avec ses fameuses étoiles Michelin…même si le trait est quelque peu forcé, tous ces ingrédients sont bel et bien présents dans ce film. De même, le casting et le jeu des acteurs atténuent les reproches faits à ce film: les prestations d'Helen Mirren, Om Puri et Charlotte Le Bon rectifient "l'assaisonnement" de ce film et donnent au film une saveur surprenante.