Les Savates du bon Dieu [Spoilers]
L'oeuvre de Jean-Claude Brisseau est belle et difficile. Elle suit le périple de Fred dans sa métamorphose en homme nouveau, lettré et sachant trouver un juste milieu entre altruisme et égoïsme. Sa vie injuste de “savate du bon Dieu” le pousse à travailler dur pour gagner peu, et sa séparation d'Elodie le place frontalement au monde du luxe et de la bourgeoisie. Ecoeuré, révolté, il décide sur un coup de tête de mettre fin à la pauvreté de ses amis à mesure qu'il progresse dans sa recherche. Le trio vole, casse et tue, fait le mal pour le bien.
Jamais Fred n'oubliera Elodie, elle est son énergie, c'est en l'imaginant qu'il avance. Ces séquences d'érotisme sont filmées avec un soin tout particulier apporté à la lumière, où la femme est baignée d'une douce lueur tamisée et satinée, que l'on retrouve à plus grande échelle dans Les Anges Exterminateurs, du même réalisateur. Cette vision angélique et presque onirique de la femme est un thème récurrent dans la filmographie de Jean-Claude Brisseau, et se révèle être un véritable point d'ancrage pour la psychologie de ses personnages. Dans Les Savates du bon Dieu, la vision d'Elodie nue parmis les soieries rouges sang - la scène a-t-elle jamais eu lieu - permet à Fred de se reconnecter au présent, de se raccrocher à ce qui lui reste et de continuer à vivre.
La quête de Fred n'est pour autant qu'un fil conducteur, qu'un prétexte permettant de dérouler une intrigue plausible qui agrémente une véritable réflexion sur la générosité, l'amour et les galères que ces dernières apportent inévitablement. La force du film réside dans son discours épuré, débarrassé de toutes les complexités inhérente au sujet traité. Dans quelques critiques feuilletées ici et là est déploré l'aspect stéréotypé de certains éléments de la réalisation. Il est vrai qu'à de nombreuses reprises, le spectateur pourra être déconcerté par des accès d'artificialité : l'apparition du personnage atypique de Maguette dans l'école, ou encore la vie assez paisible menée par les trois compères en cavale. Cependant, l'image n'est qu'illustratrice d'un propos, par conséquent, il faut savoir se distancier suffisamment de ce qui est montré, et n'en saisir que l'aspect suggestif. Pour exemple, les billets de banque se révèlent très nombreux, très gros et très colorés, donc très visibles et peu crédibles, particulièrement lorsqu'ils sont utilisés lors de scènes “graves”, comme les hold-up et autres vols. Cependant, s'arrêter là dans la perception de l'image serait une erreur. Il s'agit davantage de considérer les objets aussi ostentatoires soient-ils comme suggestifs, comme moyen de représentation. On retrouve d'ailleurs cette largesse de mise en scène dans la plupart des réalisation de Brisseau (la figure de la Mort ou la matérialisation des esprits dans La Fille de nulle part). Pour autant, l'oeuvre comporte quelques imperfections assez désagréables, notamment sur le plan narratif, avec des interventions parfois moralisatrices de Maguette (Emile Abossolo M'Bo), ou encore cette scène de fin de procès, brisant l'atmosphère en place.
Terriblement actuelle dans son propos, l'oeuvre de Brisseau dérange légèrement dans sa forme, et l'on en ressort sûrement aussi troublé que les protagonistes.