La danse de sabbat
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le 8 mai 2021
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J'étais très impatient de pouvoir découvrir ce film qui hélas a été l'un des nombreux films sacrifiés en plein vol en raison des confinements successifs dû à la crise COVID, je souhaitais absolument le voir dans les meilleures conditions possibles et enfin l'occasion s'est présentée hier, et quelle claque !
Je vais d'abord m'attarder sur l'aspect formel afin d'appuyer l'impérieuse nécessité de découvrir cette œuvre sur le plus grand écran possible, quitte à devoir patienter pour le voir. Imaginez découvrir un tableau de Velasquez ou de Goya in situ dans un musée et découvrir ces mêmes tableaux sur l'écran réduit de votre ordinateur, bien sûr vous verrez la même œuvre, mais dans un cas un vertige vous saisira quand dans l'autre cas ce vertige qui pour moi compte énormément dans l'appréhension que l'on a d'une œuvre sera absent. Or tout le film est plastiquement absolument sublime et les exemples des peintres espagnols que je cite n'est pas anodin, tant il est parcouru de plans et cadres qui obéissent aux règles de construction, d'éclairage, de jeux d'ombres et lumières que l'on retrouve dans cette école picturale. Et cela vaut tant pour les scènes en extérieur, que les scènes en intérieur, tant pour les scènes empruntant au réel que celles relevant du surnaturel.
Maintenant je vais développer d'avantage sur son fond, car si je suis évidemment sensible à l'aspect visuel d'un film, il me faut également que cette beauté serve un propos, une histoire, un scénario, des personnages, bref l'antithèse du récemment chroniqué The Northman (2020).
Le contexte, dans l'Espagne très catholique du début du 17° siècle où la figure d'autorité suprême est dévolue à l'église catholique et où sévissait la sainte inquisition, la chasse aux sorcières battait son plein et les premières victimes expiatoires étaient les femmes, coupables a priori car à l'origine du pécher originel mais au-delà coupables a fortiori car sexuellement tentantes, pleines de mystères pour les hommes et à plus forte raison pour les membres d'une église qui a porté le célibat de ses ministres au pinacle.
J'en profite pour vous conseiller l'essai brillant de Mona Cholet "la puissance invaincue des femmes" qui est à ce jour l'écrit le plus exhaustif sur cette question de la représentation et l'image de la femme en ces temps.
Dans un premier acte, dans un petit village de pêcheurs, Akelarre le juge de l'inquisition mandaté par le Roi et son conseiller viennent arrêter 5 jeunes filles soupçonnées de sorcellerie, on découvre alors l'atrocité que représentaient les séances de questions, les tortures mais bien plus l'absurdité presque kafkaïenne de la situation quand quel que soit la réponse donnée on s'enfonce dans une culpabilité absolue et qu'aucune défense ne parviendra à faire fléchir les juges. "Mais comment pouvez-vous dire que vous ne faites pas de sabbat si vous ne savez pas ce que c'est ?" "Votre chant traditionnel qui tourne en boucle, c'est quand même bien une incantation ?" etc.
Dès lors la seule solution que trouvent ces jeunes femmes pour tenter de se soustraire à l'inexorable est de prétendre pratiquer les rites sataniques, afin de gagner du temps et ce faisant le film se mue en pamphlet envers l'hypocrisie et de l'église, et de l'état monarchique d'alors et des hommes qui en sont les représentants, car si le simulacre pour ne pas dire les simagrées des quêtes de la preuve de leurs accusations - chercher les stigmates du Malin - tombe vite, on est désormais face à des autorités qui sont des voyeurs, des hommes dont les frustrations les changent en obsédés qui ne cherchent plus une vérité pour celle-ci mais pour voir ce fameux sabbat qui revêt une force sexuelle absolue. Ces femmes ne sont alors plus des sorcières mais des tentatrices, elles rentrent alors dans le mythe des sirènes, ces femmes dont les chants égaraient les marins et ce n'est peut-être pas un hasard si le village d'Akelarre de par sa situation est vidé de ses hommes une grande partie de l'année, partis en mer théâtre de nombreux mythes que l'on peut mettre en parallèle avec les peurs de cette église catholique face à non pas l'inexplicable mais à l'inconnu.
Deux derniers points très personnels qui achèvent de me rendre ce film brillant, l'intelligence de son dernier plan, je veux dire par là un film qui s'arrête au bon moment et ne s'alourdit pas d'une séquence ou d'une scène en trop et plus subjectif voir et entendre le pays basque dont je suis très proche originellement.
"Nous ne voulons d'autre chaleur que celle de tes baisers" si ce chant est une incantation alors je veux bien être Lucifer, je veux bien que des femmes aussi belles que les actrices de ce film me la chante encore et encore, à la pleine lune, en pleine nature, aux lueurs tremblantes d'un feu, en tout cas ce film est passionnant.
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Créée
le 4 nov. 2022
Critique lue 10 fois
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