J’utilise la version du titre qui traduit littéralement le titre original : Nachts, wenn der Teufel kam. J’aurais aussi pu choisir Les SS frappent la nuit, l’alternative moins portée sur la diabolisation du nazisme & plus apte à transmettre l’américanophilie de Robert Siodmak.


La possibilité du choix, en tout cas, est un joli reflet de la nature même du film, qui fait douter d’entrée : qu’est-ce que cet officier nazi sympathique & cet humour qui fait tache dans une Allemagne en guerre & bombardée elle-même ? Le mélange entre expressionnisme & film noir est en tout cas flagrant & aussi frustrant que passionnant, car ce sont les poncifs des deux genres qui sont recyclés dans une œuvre aussi nouvelle que réchauffée, un véritable hybride.


Toutefois, sa nature germanique & l’attachement qui est apporté aux petits gestes & aux grandes expressions (“il verse des larmes de joie dans son calice d’amertume”, dicunt les sous-titres) le place définitivement en marge de ses inspirations tandis que le choix de la guerre comme thème principal lui donne un faux air de précurseur au thriller. Mais ce n’est pas là qu’il est visionnaire.


La réussite de Siodmak se situe essentiellement dans ce qu’il arrive, avec un montage rapide & dense typiquement américain, à construire une histoire policière à partir de l’arrière-plan nazi ; ce dernier ne devient pas la raison d’être à tout comme le cinéma nous y a habitués, mais demeure une simple ressource qu’il se permet de modeler seulement dix ans après la fin de la guerre, & en Allemagne avec ça. Voilà où l’œuvre est en avance. Voilà ce qui la rend discrète à moins d’avoir le contexte historique bien en tête.


Le cinéphile a la chance, aujourd’hui, que la guerre & les nations patriotiques à reconstruire soient suffisamment loin pour permettre une analyse globalement démoulée des dissensions politiques, historiques & cinématographiques dont il découle. Il y a de quoi, par contre, s’étonner de la vitesse à laquelle le monde s’est découvert un attrait pour la Nuit de Siodmak. Comme quoi la lumière qui est faite sur l’affaire Bruno Lüdke, non contente de ne jamais laisser transparaître qu’elle est inspirée du vrai criminel éponyme, ne surfait (du verbe “surfer”, pas “surfaire”) sur aucune vague stylistique malgré les apparences.


L’intégration du film criminel dans l’Allemagne propagandiste & ultra-administrative est brillante, elle dévie la manipulation des faits jusqu’à ce que l’État se manipule lui-même, & finalement… c’est le film qui est manipulateur. Voilà le signe d’une réussite mais aussi que Siodmak, l’air de rien, a créé une véritable “poudrière des balcons” !


Quantième Art

EowynCwper
6
Écrit par

Créée

le 9 mars 2020

Critique lue 399 fois

1 j'aime

Eowyn Cwper

Écrit par

Critique lue 399 fois

1

D'autres avis sur Les SS frappent la nuit

Les SS frappent la nuit
constancepillerault
7

Critique de Les SS frappent la nuit par constancepillerault

Titre français absurde (le titre original signifie à peu près "la nuit quand vient le diable") pour ce film, tourné par Siodmak de retour en Allemagne, qui ne raconte absolument pas une histoire liée...

le 9 août 2019

5 j'aime

7

Les SS frappent la nuit
Freddy-Klein
8

Critique de Les SS frappent la nuit par Freddy Klein

Willi Keun est un petit chef, dans tous les sens du terme, membre de la SS et préposé aux commémorations subalternes. Personnage médiocre qui ne doit son poste qu'à son dévouement sans limites au...

le 24 avr. 2020

2 j'aime

8

Les SS frappent la nuit
Elgato65
6

(Trop) peu d'implication émotionnelle

"Les SS frappent la nuit", aussi connu sous le titre "La nuit quand le diable venait", est un film allemand en noir et blanc qui fut nommé à l'Oscar du meilleur long métrage en langue étrangère en...

le 26 mars 2020

2 j'aime

2

Du même critique

Ne coupez pas !
EowynCwper
10

Du pur génie, un cours de cinéma drôle et magnifique

Quand on m’a contacté pour me proposer de voir le film en avant-première, je suis parti avec de gros préjugés : je ne suis pas un grand fan du cinéma japonais, et encore moins de films d’horreur. En...

le 26 oct. 2018

8 j'aime

La Forêt sombre
EowynCwper
3

Critique de La Forêt sombre par Eowyn Cwper

(Pour un maximum d'éléments de contexte, voyez ma critique du premier tome.) Liu Cixin signe une ouverture qui a du mal à renouer avec son style, ce qui est le premier signe avant-coureur d'une...

le 16 juil. 2018

8 j'aime

1

Mélancolie ouvrière
EowynCwper
3

Le non-échec quand il est marqué du sceau de la télé

Si vous entendez dire qu'il y a Cluzet dans ce téléfilm, c'est vrai, mais attention, fiez-vous plutôt à l'affiche car son rôle n'est pas grand. L'œuvre est aussi modeste que son sujet ; Ledoyen porte...

le 25 août 2018

7 j'aime

3