"Les Suffragettes" est un film sensible, très émouvant, qui arrache à l'oubli une page d'histoire qui était en train de s'enfoncer doucement. Tout le monde connaît le nom "suffragettes" et sait plus ou moins qu'il désigne les femmes qui, au début du XXème siècle, ont milité, en Angleterre, pour obtenir le droit de vote, mais moins savent à quels combats cette lutte a contraint les femmes, à quels attentats elles ont dû se livrer, à quels sacrifices elles ont dû consentir, à quelles représailles (des plus intimes à l'incarcération pure et dure) elles ont dû s'exposer.
C'est ce que retrace ce film, porté par une actrice principale, Carey Mullingan, bouleversante, et par une série de seconds rôles, féminins et masculins, subtils et complexes, chacun connaissant une évolution pas nécessairement prévisible au fil de l'intrigue. La réalisatrice Sarah Gavron montre très finement comment une modeste ouvrière, d'abord en retrait, se trouve engagée de plus en plus avant dans le militantisme : l'éveil se produit au contact du scandale étouffé dont elle est témoin, puis on la voit poussée par une nécessité de plus en plus impérieuse, par le hasard des circonstances, par l'incompréhension de son mari, par la sympathie et l'admiration qui la portent vers ses compagnes de combat, jusqu'à devenir l'une des plus extrêmes d'entre elles.
L'image est très travaillée, jouant souvent d'une monochromie qui reflète la monotonie d'une existence prise dans le carcan des habitudes et des conventions : gamme brune pour l'espace urbain et l'espace intime, signalant que l'individu ne jouit d'aucune coupure entre ces deux mondes en principe distincts ; gamme bleutée et froide pour l'espace du travail, où la tyrannie, l'abus, s'exercent librement, du moment qu'ils restent discrets. L'une des scènes les plus colorées est, à la fois paradoxalement et logiquement, la plus tragique mais aussi la plus glorieuse, puisqu'elle va faire progresser d'une belle foulée le combat de ces femmes.
Un seul regret, toutefois : la musique qui, presque omniprésente, insistante, souligne à grands traits les différentes phases de l'intrigue.
Il n'en demeure pas moins que, tout en côtoyant fréquemment les écueils du mélo, écueils cernant nécessairement le thème traité, la réalisatrice Sarah Gavron parvient constamment et très habilement à les éviter, conduisant son spectateur à la fois sur les flots de l'émotion et sur ceux de la conscience politique.