Avant toute chose, j'aimerais rendre hommage à Carey Mulligan. On parle beaucoup, en ce moment, d'actrices un peu trop surexposées, qui rafleraient des récompenses sans vraiment les mériter. Je ne sais pas où est le mérite. Je suis un spectateur lambda. Mais quand je vois Carey Mulligan enchaîner les prestations de femme forte, de femme fragile, obtenir des rôles très variés et souvent d'époque, et s'en sortir à chaque fois avec brio, je dis que ça vaut bien un petit hommage. La douleur de ses personnages, leurs tourments, elle les intériorise aussi bien qu'elle les extériorise, c'est une actrice bouleversante dans chacun de ses rôles, dont le travail transparaît à l'écran. A l'heure où on ne parle que des nouvelles coqueluches du tout Hollywood, qui ne savent pas aligner deux bonnes performances d'affilée, je trouve Carey Mulligan remarquable. C'est pour moi un modèle sur qui toutes les jeunes actrices en quête d'authenticité devraient s'appuyer.
Ceci étant dit (et plus à dire, je ne suis pas là pour me faire l'avocat de tels talents), Les Suffragettes évite pour moi tous les clichés de base de ce genre de film. Loin de raconter un féminisme fleur bleue, poussé par une réalisation sentimentaliste au possible, il met ses activistes devant leurs propres contradictions, sans jamais les désavouer pour autant. La force du film réside dans la subjectivité des scènes qui varient en fonction du déroulement de la narration principale. Les hommes, même s'ils suivent évidemment tous à peu près la même idéologie due à leur époque, sont tous très différents les uns des autres dans le fond. Entre ce que l'on peut dire et ressentir et ce que l'on doit dire et ressentir, il y a une marge tellement conséquente qu'il s'agit là de ne montrer ses différences qu'en terme de nuances, pour ne pas frôler l'immoralité ou la déchéance sociale, même du bout de l'ongle.
Les Suffragettes est bien monté, peut-être un peu trop policé, peut-être trop axé sur quelques individualités alors que j'aurais aimé voir davantage la cohésion nationale (bien que l'histoire dans l'histoire est superbe et reflète bien les difficultés rencontrées à tous les niveaux d'un tel combat). Les scènes de l'ordre de l'intime, même si elles permettent de comprendre l'évolution du personnage principal, sont parfois tirées en longueur. On regrette un traitement à deux vitesses,où le monde du privé et celui du public (soit de l'histoire et de l'Histoire) ont du mal à cohabiter, contrairement à Carol, sorti quelques mois après. Les deux se mêlaient alors parfaitement et retrouvaient une cohérence. L'image est très travaillée, en phase totale avec le monde dans lequel elles évoluent, autant dans la couleur que dans le ton global. Certains plans sont bien construits et forts en symboles, ce qui pousse à penser que ce film est quelque part mémorable.
Un très bon film qui ne parle pas seulement du droit de vote, mais de la condition des hommes et des femmes de manière générale, qui si ils demeuraient opposés pour beaucoup de raisons différentes, étaient tous empêtrés dans une société sans aucune réflexion sur elle-même, où le libre-arbitre met une éternité pour flancher face à la pensée prédominante. Un film sur la détermination avant d'être un film sur les femmes, c'est brillant.
Je vous invite par ailleurs à lire la critique de Melly, beaucoup plus intéressante à bien des égards.