Convenons que l’argument nostalgique prévaut bel et bien : son effet est double, celui-ci conférant au visionnage une dimension supplémentaire, un écho puisant aux racines de l’enfance du spectateur… et, par extension, atténuant de son mieux les limites de l’œuvre. Cela affecte donc notre perception de The Three Caballeros, qui s’il fait amplement mieux que Saludos Amigos n’en demeure pas moins non exempt de tout reproche.
Néanmoins, venons-en d’abord à la manifestation la plus pure et intime du subjectivisme : cette diablesse de nostalgie. La gifle des souvenirs, aussi intangibles et différents soient-ils (tant en termes de précision que de sensation), est un régal transcendant les contours de notre écran : The Three Caballeros est justement très fort à ce petit jeu, sa propension à se consumer tel un feu d’artifice long d’un peu plus d’une heure marquant bien des sens.
Entrecoupant la chose de (rares) séquences plus posées, son « intrigue » déroule avec une fièvre détonante une succession de saynètes, chants et cascades s’inscrivant tous dans un creuset… fou. Cette folie, bien qu’à double tranchant (nous y reviendrons), a pour conséquence première de faire de The Three Caballeros un objet sans égal, sorte d’expérimentation sans garde-fou croisant les A.D.N. de son prédécesseur, Fantasia et la Parade des Éléphants Roses de Dumbo.
Du moins tentons-nous de raccrocher les wagons, de cerner pareil « voyage », mais le rationaliser semble vain : car son énergie se veut aussi communicative qu’exténuante, mais aussi de par ses prétentions exotiques, qu’importe au fond leur respect de la réalité d’alors, et plus étonnamment son goût immodéré pour le « tactile ». La chose n’aura d’ailleurs pas échappée aux critiques, The Three Caballeros n’ayant pas froid aux yeux quant aux penchants de son emblématique canard, non sans adjoindre au tout une ambiguïté presque homosexuelle.
Plutôt que de s’empêtrer dans un jugement moral suspendu à la vérité de tout un chacun, gageons plutôt que le film démontre d’une liberté de ton des plus totales, lui assurant ainsi une âme palpable. Une manière bienvenue de compenser la nature artificielle d’un scénario « prétexte », qui bien que supérieur à celui de Saludos Amigos (qui en était pour ainsi dire dépourvu) ne fera pas date dans la longue histoire des studios Disney.
À raison de plus que, comme évoqué avec l’aspect double-tranchant de ses atours, son souffle inépuisable tient autant de l’atout que de la poudre aux yeux : le genre de celle qui masque au maximum les inévitables trous d’un fil rouge n’en ayant que le nom. Si nous nous amusons des déboires d’un Donald aussi bien bizuté qu’apprécié, l’humour et le jusqu’au-boutisme de The Three Caballeros ne sauraient se suffire à eux-mêmes.
Mais ses solides prétentions graphiques, surtout l’emploi du Technicolor et le mélange animation/prises de vues réelles ici au service de son outrance stylistique, sont autant de bonnes raisons de le qualifier de curiosité immanquable, certes imparfaite mais vrai marqueur artistique et politique d’une époque aujourd’hui révolue.