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Japon, île de Shôdoshima, 1928. Hisako Ôishi, lumineuse jeune institutrice, est nommée dans un petit village. Elle doit s’occuper de douze gamins, tous issus de familles pauvres. Très vite, un attachement particulier se tisse entre la maîtresse et les élèves. Et puis, les années passent, les premiers soucis politiques arrivent (l’incident de Shangaï, l’invasion de la Mandchourie), avec la montée du militarisme…

Je précise humblement d’emblée que je n’ai pas vu la bonne cinquantaine de films réalisés par Kinoshita et ne saurais donc dire s’il s’agit de son meilleur film. Mais qu’il soit un de ses plus célèbres avec La Ballade de Narayama, sans l’ombre d’un doute.

D’abord parce qu’on y retrouve, trois ans après Carmen revient au pays, Hideko Takamine débarquant de nouveau dans un trou perdu, cette fois-ci pas en tant que strip-teaseuse espiègle mais comme modeste institutrice n’aimant rien d’autre que la vie. Un changement de registre qui illustre l’étendue de la palette de l’actrice, et d’autant plus que le film s’étale sur vingt ans, donnant ainsi à voir le vieillissement du personnage à chaque étape joué de manière très convaincante par Takamine.

Mais le plus touchant est sans doute le côté anti-militariste « en mode mineur ». Car le film n’a rien d’un brûlot dénonçant la guerre par le biais, je ne sais pas moi, de tirades enflammées de paysans ayant viré communistes. Le point de vue est ici essentiellement féminin, qui plus est institutionnalisé, cadenassé par le pouvoir impérial. Avec beaucoup d’amertume, l’institutrice s’aperçoit à un moment qu’elle n’est plus libre d’exercer librement, tenue qu’elle est d’exploiter des manuels où à chaque coin de page apparaît des mots comme « devoir », « patrie » ou « patriotisme. » Après avoir constaté qu’elle n’a pas la main sur des éléments intervenant en dehors de la sphère de l’école (elle s’aperçoit que beaucoup de ses élèves ont un avenir bouché du fait de la misère de leur famille), elle comprend qu’elle doit faire profil bas, accepter que ses élèves, devenus à peine des hommes, s’enrôlent pour aller se faire tuer dans cette guerre contre les Américains.

« Ne rien voir, ne rien dire, ne rien entendre : ce sont les préceptes que vous devez leur inculquer pour en faire de bons serviteurs de notre pays », lui dira avec le plus grand sérieux le directeur de son école, tandis qu’un de ses collègues affirmera : « Nous enseignants, devons être de bons patriotes. » Nous sommes à une époque où simplement dire que l’on souhaite que la guerre s’arrête vous catalogue illico comme « rouge ». Et quand elle exprime ce souhait à ses trois enfants, ils la traiteront aussitôt de « poule mouillée ». Elle se contentera de sourire et de répondre « C’est vrai », attendant des jours meilleurs qui, au bout du compte, lui donneront raison, le temps d’un final que les mauvaises langues taxeront de « lacrymal », et que je qualifierai pour ma part simplement de « touchant ».

Dans tout cela, le peuple japonais apparaît fondamentalement comme innocent, victime surtout d’une propagande va-t’en-guerre toute puissante (« Nous ne sommes pas morts pour la patrie ! » ira même jusqu’à regretter Daikichi, le fils aîné d’Ôishi, au moment de la capitulation). Cela peut sembler un peu facile, on aurait pu espérer à la fin une sorte de remise en question d’idéaux militaristes vérolés, ou la reconnaissance d’une lâcheté collective. Mais ce ne sera pas le choix du film qui, jusque au bout, restera essentiellement féminin, avec d’anciennes élèves devenues mères, ayant un métier, étant même parvenue à s’échapper de la misère familiale, tandis que leur bien-aimée « Professeur Petit Caillou » (surnom donné à Ôishi au début du film mais qui, à la fin, deviendra « Professeur Grosses Larmes » — et on comprendra volontiers pourquoi) repart vaillamment à son travail, cette fois-ci pour « semer des graines » (allusion à un livret évoqué dans le film) selon son cœur de pédagogue humaniste.

Sinon, autant prévenir : ça pleure beaucoup et c’est accompagné tout le long du film de chansons d’enfants. Après, comme on est côté familles plutôt que côté soldats, il est plus logique d’entendre cela plutôt que des obus ou des balles de mitraillettes. Personnellement, ça ne m’a pas gêné, surtout quand au milieu du film, on a ce sinistre effet des premiers chants d’enfants gangrénés par un élan patriotique. On a alors plus qu’à faire comme Ôishi sensei, c’est-à-dire serrer les dents et espérer que les premiers chants entendus, plus bucoliques, reviennent… et ils reviendront.


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Créée

le 14 janv. 2025

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