Malgré quelques qualités formelles indéniables, cette tranche de vie s’étendant sur trente années de l’histoire d’une petite communauté insulaire nippone, rythmée par des chants d’enfants horripilants, sombre assez rapidement dans un pathos qui finit par ruiner toutes velléités émotionnelles.
Mis en scène par Keisuke Kinoshita, un réalisateur souvent resté dans l’ombre des géants du cinéma classique japonais constitué de l’extraordinaire quatuor Kurosawa, Ozu, Mizoguchi, Naruse, ces quatre majestueux chênes qui cachèrent longtemps, avec panache et noblesse une magnifique forêt, ces douze paires d’yeux nous lance un regard enfantin qui à défaut de provoquer l’émotion désirée, finit par agacer.
Non dénué d’un beau message humaniste sur les conséquences que l’histoire avec un grand H peut provoquer sur le destin des êtres, le film est constitué de deux parties. Dans la première on suit l’arrivée d’une jeune institutrice interprétée par Hideko Takamine, égérie du cinéma de Mikio Naruse, dans une petite ville côtière aux us rétrogrades. Arrivée de la grande ville, elle parade fièrement sur sa bicyclette, prenant le chemin de l’école dans laquelle elle vient enseigner. Ce qui ne manque de provoquer une certaine animosité de la part d’une communauté composée de gens pauvres.
Le réalisateur use de longs travelings de toute beauté qui ne manquent pas d’exposer les magnifiques paysages de l’île de Shodoshima, située dans la mer intérieure, lieu de naissance de l’écrivain Sakae Tsuboi, auteur du livre dont le film s’inspire. Esthétiquement ce parti pris est indéniablement réussi et donne au film une connotation naturaliste à caractère authentique. Là où le bât blesse, c’est dans cette insistance à s’imposer une méthodologie larmoyante qui vire rapidement au pathos et finit par ruiner toute la construction narrative graduelle que Kinoshita tentée de mettre en place. Ça dégouline de niaiserie quand l’environnement montrant le quotidien des habitants se suffisait à instaurer un climat émotionnel.
L’idée d’utiliser des chansons enfantines pour servir de fil conducteur entre les différentes époques, était en soi, non dénuée d’une certaine originalité, mais le réalisateur en use avec une telle insistance que le film devient difficilement audible et finit par provoquer une sorte de résonance perpétuelle qui provoque l’effet inverse de celui escompté. Le pathos finit même par tellement contaminer l’œuvre qu’il fait dériver le fil narratif dans une longue mélopée mielleuse. L’émotion disparaît et anéanti toutes les velléités d’enchaînement structurel dans une seconde heure censée nous transporter dans une vision de l’après-guerre et ses conséquences, tronquée par l’évidence larmoyante qui nous attend au virage.
Au final on a droit à un mélodrame aux qualités esthétiques indéniables, mais absolument plombé par ses bons sentiments.