Leto est de ces films fleuves qui pourraient durer des heures sans que l’on y trouve rien à redire. Les séquences s’enchaînent, en lien ou non avec celles qui les précèdent, les cadres sont parfois peuplés parfois déserts ; la musique est en tous cas omniprésente ; on suit un personnage puis un autre - en fait toute une communauté - sur un mode d’expression presque lyrique. Leto, au delà de signifier la saison estivale en russe et d’être un morceau du groupe Kino (Kontschitsa Leto, “l’été sera bientôt fini”), c’est justement l’histoire de cette communauté de jeunes, contre-culture encadré par l’État soviétique, celle de leur volonté de changement, de leurs infimes victoires mais aussi celle des tribulations amoureuses de Mike, Viktor et Natalia.
Kirill Serebrennikov parvient à insuffler quelque chose de terriblement vivant dans leurs mémoires. Ces vies sont presqu’irréelles parce que révolues - à moins que la Russie ne soit toujours un État autoritaire qui exerce un contrôle sur ces artistes ? говно - et pourtant si vibrantes.


Cette quasi-ivresse sentimentale est renforcée par un certaine absence de temporalité dans le film (des marqueurs chronologiques comme le conflit Afghan sont évoqués, Brejnev discoure à la télévision mais rien de tout cela n’est précis). Leto se déroule en URSS, dans un entre-deux historique où tout semble à la fois possible et impossible. Ce n’est pas encore l’ère wind of change mais pas non plus les débuts staliniens de Brejnev. Si chronologie il y a, on la retrouverait plutôt dans les liens avec l’histoire du rock tracés par le film : Lou Reed sort Perfect Day en 1972 ; Viktor rappelle à Mike que son Marc Bolan est mort (un dialogue qui se déroule donc forcément après 1977). Encore que : The Passenger d’Iggy pop est quant à lui anachronique dans le film. Leto est un moment à lui tout seul ; il a sa propre logique et ses propres implications.


Dans l’ensemble, c’est en fait la traduction d’une grande liberté, qu’on retrouve à la fois dans les aspirations des personnages et celles du réalisateur. Kirill Serebrennikov se livre à une interprétation libre de la forme cinématographique, quitte à tenter des variations clipesques - cela reste dans l’esprit du film : Perfect Day et The Passenger se retrouvent donc interprétées par des personnages secondaires dans des séquences fascinantes ; l’élégant noir et blanc est parfois abandonné pour des séquences plus punk, colorées et explosives. Les expérimentations visuelles et narratives du réalisateur répondent aux expérimentations musicales du duo de musiciens.


Leto n’est pas un biopic, Leto est plutôt l’expression lyrique d’une époque et c’est pourquoi il est réussi : variation libre sur des personnages réels, il demeure systématiquement surprenant.


Appendice : il me parait intéressant de mettre Leto en parallèle avec Free to Rock (2015) du documentariste américain Jim Brown. La problématique en serait : comment écouter du rock en URSS, comment y être musicien ? Si Leto y répond d’une très belle manière pour Mark, Viktor et Natacha, Free to Rock apporte la réponse pour l’Histoire, de façon plus littérale et générale.

oggy-at-the-movies
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le 3 déc. 2018

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Augustin

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