C'est peu de dire qu'il y a des films qui valent d'abord par l'état d'esprit qu'ils communiquent. Leto en fait partie. À la fois théorique et sensuel, vibrant et didactique, bouillonnant et géométrique, gourmand et ascétique, planant et matérialiste, factuel et poétique, Leto a tous les paradoxes d'une oeuvre à l'élégance baroque d'un cinéaste qui peut tout se permettre parce que tout lui est interdit. C'est un film qui n'a rien à nous apprendre parce que la liberté est à conquérir, celle du spectateur (de la spectatrice) comme celle des protagonistes. Film très russe parce que très occidental, Leto trouve sa musicalité dans la couleur du noir et blanc, dans les retranchements du format large que Serebrennikov prend un malin plaisir à rétrécir et à sonder dans des travellings qui n'en finissent plus de nous étourdir. Il filme la nature comme Tarkovski dans L'enfance d'Ivan, semble improviser des clips avec la gaminerie insolente d'un Gondry dans La science des rêves, expose les errances des sentiments avec plus de nuances encore et de lyrisme étudié que le Garrel des Amants réguliers et fait scintiller sa propre étoile au vertige des oscillations entre Est et Ouest, entre extérieurs infinis et menaçants et intérieurs où se déploie une liberté nouvelle. Le grand film de l'année, avec Burning que je n'oublie pas, et aussi Phantom Thread.