Ciro Guerra nous plonge au coeur de l'Amazonie, jouant de la temporalité pour nous conter l'histoire de deux voyageurs blancs tentant de la dompter. D'un côté, le trajet d'un ethnologue allemand du début du 20ème siècle, Théo, de l'autre, celui d'Evan, ethnobotaniste américain, qui suit les traces de l'allemand et d'une plante curative et hallucinogène, la yakruna, que l'ethnologue a décrite dans ses recherches. Cette plante devient le dernier vestige d'une Amazonie détruite par l'homme, par l'exploitation du caoutchouc. Une réminiscence de tout ce que l'Amazonie, ses tribus, ses peuples, peuvent nous apporter et que l'homme blanc, ne perçoit que comme un produit à exploiter, à rentabiliser.
Durant ces deux voyages, une constante, Karamakate, chaman ermite, reclus, vivant à l'écart de son peuple, qui devient à deux reprises le guide des scientifiques en quête de soin pour Théo, malade, qui voit dans cette plante le seul moyen de survivre et de poursuivre son travail de recherche. Pour Evan, ses motivations sont plus incertaines, et laissent présager une exploitation industrielle de la plante, entrant potentiellement dans la fabrication du caoutchouc. Cette constante incarnée par ce chaman, pratiquement nu, muni un grand collier autour du cou, de bracelets de plumes autour des bras, d'un pagne, fait de lui l'incarnation d'un équilibre entre l'homme et la forêt, entre l'être humain et la nature. Comme s'ils ne faisaient qu'un et comme s'il était une émanation de la forêt, sorte de protecteur et porte-parole d'une nature exploitée que personne n'entend ni comprend.
Par ce jeu sur la temporalité, sur les aller-retour entre Théo et Evan, le réalisateur fait coexister sur un même plan les deux histoires. Comme si l'un devançait l'autre de quelques secondes, de quelques minutes. Leurs voyages s'articulent, se répondent, se confondent. Il construit un film philosophique, énigmatique. Sorte de rêve éveillé d'un monde inconnu, fait de découvertes, pour preuve, ce final aux allures Pink Floydiennes. L'Amazonie fascine, par ses forêts luxuriantes, par ses peuples disparus, par ses secrets perdus. Dans le fond, nous savons tellement de choses de la Grèce Antique, et si peu des peuples d'Amazonie.
Le réalisateur colombien développe un film contemplatif sur une terre hostile, indomptable, où la folie émerge. Il filme tour à tour la folie des colons, exploitant le caoutchouc à des fins commerciales, réduisant les populations à une forme de domination esclavagiste, mais aussi l'action d'une mission catholique où les orphelins sont fouettés par le prêtre, ou encore un messie s'offrant à ses adeptes dans une cérémonie cannibale. Ciro Guerra traite ces aventures de manière froide, sans jugement, il ne fait que montrer et nous interroger sur nos perceptions d'un monde qui nous est si étranger. L'inconnu nous plaît tant, qu'à force de vouloir observer, comprendre, s'imprégner, on en devient vite fasciné et obsédé, oubliant par la même le sacrifice que certains paient.