Second volet de l'évocation croisée de la bataille d'Iwo Jima, ces Lettres permettent de passer de l'autre côté. La guerre est écrite par les vainqueurs ; cette lapalissade est ici détournée. Nous partons des lettres de soldats nippons laissée sur le champ de bataille et découverte de nos jours pour partir avec eux vers l'enfer.
Ce film mérite vraiment qu'on s'y attarde. La structure narrative est classique et il ne faut pas y
chercher les pistes explorées par Malick dans la ligne Rouge. Point de voix off lancinante mais, en dehors de quelques flashback, un simple déroulé. La façon d'aborder les combats est ultra classique, le rythme relativement lent, la reconstitution générale d'excellente facture. Vous me direz pourquoi en faire tout un plat s'il ne révolutionne pas le genre ? La réponse est à chercher dans son propos.
Comme dans le premier opus, les Mémoires de nos Pères, Eastwood avec justesse le thème de la propagande. La photo et la quête des bons de guerre dans une Amérique triomphante et riche, laisse place au régime martial et impitoyable qui envoie le Japon en enfer. Autre approche tout aussi percutante et devenue assez classique, que celle qui nous montre ces hommes ordinaires confrontés à la mort, à l'absurdité des ordres, à l'ennemi, terrible. Il est rare de pouvoir s'attacher aux perdants ; on a bien eu Croix de Fer, le Stalingrad de Joseph Vilsmaier mais la guerre vue du côté nippon a longtemps été cantonnée aux canons imposés par Hollywood. Le soldat nippon est un barbare sans cervelle qui charge comme un benêt sur des Marines. Suffit de revoir le Iwo Jima de l'inébranlable John Wayne (tiens méritera un critique lui aussi). Eastwood nous offre ici un tableau touchant et dramatique d'une société en perdition, perdue entre les réalités d'une défaite inéluctable et la nécessité de servir un empereur divinisé. Comment survivre et se battre sans abandonner des siècles de tradition ? Comment garder son honneur ? Ce monde étrange défile ici sous nos yeux ébahis d'Occidentaux incapables de comprendre ces suicides collectifs là où une défense acharnée aurait pu coûter encore plus de vie aux adversaires, là où se rendre aurait pu permettre de reconstruire un nouveau pays. Cette réflexion, Eatswood nous la jette en pleine poire et c'est terrible.
Ce film montre ce que nous sommes : des sociétés bestiales différenciées par des coutumes millénaires. Le général Kuribayashi campé par Ken Watanabe est extraordinaire ; il résume toutes les horreurs, les contradictions, les absurdités et le courage fou de l'homme qui se bat en sachant que tout est perdu pour offrir une journée de paix supplémentaire aux enfants de son pays. Iwo Jima tombée, elle deviendra une base pour les bombardiers US destinés à carboniser le terre du Soleil Levant.
L'autre est un monstre jusqu'à ce qu'on le croise. Lorsqu'on se rend compte qu'il est comme nous, on désespère de ce que l'on fait. Mais on le fait ; on se bat, car il en a toujours été ainsi, et ça risque encore de durer quelques éons.
Un film fort, touchant et glaçant à la fois, qui ne dénonce pas la guerre, mais la présente telle qu'elle est : terrible, horrible, injuste mais aussi et surtout, humaine. On peut toujours rêver d'y échapper ; le problème des rêves, c'est qu'ils s'achèvent toujours au réveil.