Changement radical de registre pour les frères Ludivic et Zoran Boukherma après « Teddy », rare essai de film de monstres à la française ambitieux mais pas toujours abouti qui mêlait une histoire de loup-garou en milieu rural et une pointe de comédie sociale, et la comédie loufoque (et complètement ratée) « L’année du requin » qui avait fait un sacré bide en salles et qui, peut-être, les a décidés à tenter autre chose. Il faut avouer que grand bien leur en a pris puisque l’adaptation du roman éponyme de Nicolas Mathieu, récipiendaire du prix Goncourt en 2018 et gros succès en librairie, qu’il nous propose est de loin leur meilleur film. Mais aussi et plus largement un beau et grand film. « Leurs enfants après », titre ô combien biblique, grandiloquent et imposant, narre donc une histoire d’amour et de haine en quatre étés. Quatre moments clés dans la vie d’un adolescent qui vont être divisés entre sa dualité trempée de haine envers un autre adolescent issu de l’immigration, son attirance pour une jeune bourgeoise de la petite ville où il vit et ses rapports contrariés avec sa mère empathique et son père alcoolique.
Le film prend place dans un contexte peu vu au cinéma : les petites villes des anciens bassins industriels du Grand Est. Et au sein d’une époque très à la mode en ce moment au cinéma comme dans la vie de tous les jours : les années 90. À ce titre, la bande originale de cette époque choisie par les deux frères est un condensé de ce qui se faisait de mieux durant cette décennie pour les afficionados du top 100 de cette époque, entre gros tubes estivaux et dansants comme Modern Talking et chansons plus pointues et inoubliables allant de Texas à Aerosmith. Ajoutez-y une trame sonore profonde, belle et immersive, et on peut avancer que « Leurs enfants après eux » dispose d’un accompagnement musical qui frôle la perfection et de très bon goût. Et qui participe à une certaine nostalgie que l’on peut retrouver en visionnant le film quand on a connu cette période avant le passage au nouveau millénaire.
Ce long-métrage peut se voir comme une fresque intimiste et une chronique adolescente embrassant les thèmes de la vengeance, de la ruralité désertée et des premiers émois amoureux. Le casting des adolescents et des parents est génial hormis peut-être Paul Kircher dont on a du mal à dire si ça composition est géniale ou bizarre. Dans le rôle principal, il se donne à fond comme dans « Le Règne animal » et surtout « Le Lycéen » mais sa dégaine et la manière dont il incarne les réactions de son personnage sont parfois étranges. Pour le reste, après son rôle principal dans le très beau « La Pampa » qui sortira en février, le jeune Sayyid El Alami nous offre une nouvelle composition impressionnante dans un rôle totalement aux antipodes. Celui d’un jeune immigré revanchard et effrayant qui fera date. Cela confirme qu’un grand acteur est né. Du côté des parents, Ludivine Sagnier est de retour et parfaite dans ce rôle de jeune mère compréhensive et aimante quand Gilles Lellouche est touchant dans celui du père maladroit, colérique et alcoolique. Un beau second rôle au destin terrible.
On pourra reprocher à « Leurs enfants après eux » un montage qui manque d’avoir été un peu resserré ou des scènes qui s’étirent un peu trop malgré leur beauté On pense à la scène du bal du 14 juillet ou à celle avec Raphael Quennard un peu trop en roue libre sur ce coup-là. Cela empêche le film d’atteindre le firmament qu’on aurait pourtant bien voulu qu’il prétende. Mais il reste que cette œuvre est souvent traversée par la grâce, par des instants incandescents et beaux entre douceur et fureur. Une mort par noyade au clair de lune d’une beauté tragique, un duel entre gamins d’une intensité tétanisante ou encore une scène de poursuite régie par la colère d’un père qui fait froid dans le dos. Cette tranche de vie adolescente en quatre temps, aux dynamiques évolutives et passionnantes, est une belle réussite. On ne sait jamais comment cela va finir, on a peur et on est ému et quand le générique défile, l’apaisement s’en vient et on en ressort chamboulé.
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