L'éternelle question du film qui vient après le livre. Toujours particulier de voir un film après un livre que l'on a apprécié. Lorsqu'il s'agit de plus d'un livre à succès, il est difficile de se défaire du soupçon d'opportunisme. Film nul qui suit un super bouquin : l'exemple qui me vient à l'esprit est Dune (je parle du film sorti dans les années 80 ou 90, pas du récent). Film à la hauteur du bouquin : je dirais Un thé au Sahara.
Ici, l'écart entre les deux œuvres n'est pas spectaculaire, mais il est réel. Il manque au film la dimension de critique sociale qui était présente dans le bouquin; ou pour mieux dire, la description de la mutation que connait durant cette décennie des années 90 la vallée désindustrialisée dans laquelle se déroule l'histoire. La reconversion (sans espoir) du territoire n'est que vaguement évoquée au début du chapitre de l'année 1994, alors que le livre s'étend bien plus sur le sujet. Il est vrai que cela est sans doute plus facile à écrire qu'à filmer. Du moins si l'on veut faire un film qui a l'ambition d'attirer un large public, ce qui est manifestement le cas en l'espèce.
Du coup, ça donne un film qui est centré sur les destins individuels des principaux personnages mais qui ne fait qu'effleurer le destin collectif d'une communauté. On peut également regretter quelques longueurs (passages musicalisés censés évoquer la France des années 90, avec Johnny et Cabrel) qui étendent la durée du film jusqu'à près de 2h30. Et il est curieux à cette égard que le générique de fin défile sur Born to run : anachronisme déroutant, à moins que cela ne vise à évoquer un passé plus heureux. Ajoutons que le film aurait pu s'épargner certains clichés : les arabes dans la cité, les chômeurs alcooliques, un peu facile tout de même. Il me semble que le bouquin était plus nuancé.
Pour autant, tout n'est pas raté, loin de là. La réalisation est solide et l'ensemble est cohérent, le déterminisme social est bien représenté. L'interprétation, notamment celles de Gilles Lellouche et de Ludivine Sagnier, est solide, sinon remarquable. Ça donne quelque chose de pas désagréable à visionner, même si ça laisse un goût d'incomplétude lorsqu'on a lu le bouquin.