Je me rappelle avoir entendu P.T Anderson, dans une interview, dire tout le bien qu’il pensait de la reconstitution de Los Angeles dans le dernier Tarantino. Et pendant la première partie du film, on est en droit de se demander si ce n’est pas là la principale motivation qui préside à ce film, connaissant la compétition animée d’admiration réciproque entre les deux cinéastes. Il faut dire que le film commence de manière légère, comme une modeste chronique adolescente semi-nostalgique, loin de la radicalité de ses 2, 3 derniers films.
Mais on retombe rapidement dans ce qui fait la spécificité des films d’Anderson depuis un moment, celle de tordre les formes classiques du cinéma américain. Comme d’habitude, il investit un sous-genre très codé et le fait complètement exploser de l’intérieur, en l’affranchissant complètement des contraintes narratives et formelles habituelles et ne s’en imposant qu’une seule : comment faire de chaque scène le plus grand moment de cinéma possible ? De ce point de vue-là, le film est une réussite totale. Il y a quelque chose de très musical dans la façon dont le récit est agencé, le film monte crescendo et se dispense progressivement de toute logique narrative, jusqu’à n’être qu’une suite de scènes étranges, dingues ou émouvantes, dans une pure symphonie de sensations qui procure une ivresse de cinéma qu’on a pas connu depuis … le dernier Kechiche peut-être.
Et ce qui fait précisément la spécificité de cet opus par rapport aux précédents, c’est l’intensité émotionnelle inédite qu’il contient. Il y avait quelque chose de l’ordre d’une émotion un peu cérébrale dans les précédents (tout aussi beaux hein), mais là l’allegretto cinématographique est au service d’une grande joie gracieuse qui imprègne chaque plan, sans doute due à la tendresse nostalgique (néanmoins lucide) de l’auteur, mais aussi à l’interprétation exceptionnelle des deux acteurs à qui Anderson permet une nouvelle fois de déployer un jeu juste et naturel parfois à la limite de l’improvisation. Sans oublier les numéros étonnants de Sean Penn, idéal dans le rôle d’un cabot mégalomane, et de Bradley Cooper en psychopathe, qui offrent deux des meilleures séquences du film dont une qui s’achève sur une descente en marche arrière d’un camion sans essence dans les rues californiennes en pleine nuit.
J’ai du mal à considérer l’absence de « Grands thèmes » auxquels il nous avait habitués comme une baisse du niveau d’ambition, tellement la réussite est absolue. Et je n’ai même pas parlé de la justesse de ton qui mêle le réenchantement d’une époque à une certaine lucidité sociale et politique, qui réussit à embrasser la tristesse du monde comme partie intégrante de sa beauté, de la magnifique picturalité des plans qui joue sur les lumières très 70’s des grandes avenues californiennes, et de la BO qui vient achever notre plaisir ... C’est un chef d’œuvre, qui possède néanmoins un défaut et pas des moindres, qui est de nous frustrer en s’arrêtant au bout de seulement 2h13.