Fin 2021, alors que Spiderman et Matrix se servent de leurs suites pour faire leurs propres rétrospectives, voire une autocritique, le cinéma grand public américain semble plus que jamais empêtré dans ses cahiers de charges bouffis de nostalgies, de fan service, de vieux tubes à remixer ou reprendre. La coprophagie bat son plein, donc. Et c'est alors que surgit Licorice Pizza, un film qui n'échappe pas à certaines tares de son époque : la musique semble omniprésente du début à la fin, il ne peut pas s'empêcher de durer plus de deux heures et le film délivre d'une manière trop souvent maladroite des easter eggs sur ce qu'on imagine que le public de Paul Thomas Anderson va apprécier reconnaître : le Nouvel Hollywood et même sa propre filmographie. Et de fait, on peut se dire que de la part de l'auteur de There Will Be Blood, The Master ou Phantom Thread, il y a régression. Et pas qu'un peu : Licorice Pizza a moins de souffle que ceux-là et semble même avoir fait une croix sur la recherche de perfection qui les caractérisait... pire : il semble ne même pas avoir honte de ses maladresses.
Mais dans Licorice Pizza, il y a aussi l'appétit de la première moitié de Boogie Nights qui est revenu, et puis c'est aussi un peu l'histoire de Punch Drunk Love en plus décousue. Oui mais à 16 ans, c'est comme ça les histoires d'amour : décousues. Et plus exaltée qu'à 35 aussi. Et c'est ici que Licorice Pizza déjoue la théorie pour s'en remettre totalement à la jeunesse : les personnages sortent très vite de l'école et n'y retourneront que pour distribuer des flyers invitant à jouer au flipper. PTA, la cinquantaine, n'a pas joué au professeur de cinéma mais a fait un film avec les gosses de son quartier : avec ce groupe de sœurs musiciennes qui ont grandi près de chez lui, le fils d'un de ces acteurs fétiches qu'il a certainement vu grandir et évidemment avec ses propres enfants ... Pouvait on s'attendre à ce que le film d'une bande d'ados obtienne un résultat équivalent à celui taillé sur mesure pour un vieux briscard comme Daniel Day Lewis ? Évidemment pas. La puissance du film repose beaucoup sur cette illusoire impression que ce sont les jeunes qui ont pris le pouvoir un peu partout. Il envahissent les plateaux et les castings, bien sûr, mais ils sont aussi des entrepreneurs, ils annexent le bureau de la maman et deviennent même parfois des militants très investis. Un grand gamin pourrait avoir diriger le film lui-même ...
Ils nous rappellent aussi que l'amour, bien avant de consister à regarder dans la même direction quand on n'a plus vraiment l'énergie d'en faire beaucoup plus, ça consiste surtout à se courir derrière. Et que c'est drôlement beau à voir. Ça faisait même bien longtemps qu'on avait pas vu des bouilles aussi adorables sur grand écran. Les parfaites idoles de Disney bien sûr, mais même les dernières figures de proue de Larry Clark, Gus Van Sant ou Harmony Korine nous avait fait oublié l'acné et les dents mal alignées. Elles réapparaissent enfin dans Licorice Pizza, joyeusement montrées et aussitôt oubliées, parce que c'était vraiment aussi peu grave que ça avant qu'il y ait des références photoshopées et passées sous le bistouri constamment remises sous votre nez. D'ailleurs : il y a seulement quatre noms crédités pour les effets visuels de Licorice Pizza ... et l'un d'entre eux semble s'être totalement dédié au logo MGM. De quoi pouvoir ses payer les droits de Life On Mars? ... le vrai.
Devancé par Once Upon a Time in Hollywood, PTA a failli abandonné son projet qui il est vrai partage énormément avec le dernier film de Tarantino et en premier lieu ce désir semble-t-il irrépressible pour les deux réalisateurs de revenir à une certaine époque de cinéma et ici à une certaine époque de Los Angeles, aussi. Bien en a pris Anderson puisque son approche est radicalement différente. Là où Tarantino prend un soin maniaque à montrer des luxueuses vitrines de bibelots comme autant de trésors accumulés bien après la bataille, Anderson montre son propre album photos, prétexte à des petites histoires qui en appellent toujours une suivante, et tant pis si elles sont peut-être parfois légèrement exagérées. C'est encore l'exaltation de l'adolescence, certainement. Qui, loin de lui nuire, accorde une authenticité folle à des personnages pourtant très haut en couleurs.
L'une de ces histoires les plus improbables concerne un énorme camion bourrés de bidules en plastiques, aussitôt vendus et aussitôt passés de mode, et d'enfants bien volontiers enfermés avec la marchandise. C'est la première crise pétrolière, et vers le haut de la colline, le bahut tombe en rade. Belle métaphore de l'état du cinéma grand public aujourd'hui ... Alana qui est au volant prend seule la responsabilité de redescendre la route vers les pompes à essence ; tout en marche arrière. La jeune femme, assez complexée par sa différence d'âge avec le reste de la bande, a donc les yeux rivés sur le rétroviseur, offrant ainsi un regard caméra d'autant plus intense qu'elle fait preuve d'une détermination qu'on ne lui connaissait (presque) pas jusqu'alors. Arrivée en bas, les autres font les idiots quand ils reviennent avec le carburant. Elle les regardent et elle sait qu'elle ne peut pas repartir encore et toujours dans ce même camion et choisit enfin de devenir une adulte.
PTA semble avoir accepté de prendre cette même responsabilité d'ainé et d'avoir mis son assurance légendaire moins au service de sa propre filmographie, que d'une jeunesse à laquelle il a bien voulu donné tout l'espace. Et elle lui a terriblement bien rendu. Alors oui, lui, il recule et il recule même très loin. Son cinéma recule jusqu'à même avant Boogie Nights. Il recule même jusqu'à American Graffiti, le Lauréat ou Taxi Driver. Et une fois arrivé là, il vous tire très fort sur la manche, c'est vrai, pour inviter à voir ces vieux films plutôt que d'attendre un éventuel remake. Alors quand on les a déjà vus et revus, c'est un peu gênant, mais si ça marche pour les autres : ça en valait la chandelle.
Et puis pour les plus vieux Licorice Pizza fonctionne comme une fontaine de jouvence, parce qu'il redonne un peu envie de courir premièrement, et surtout parce qu'un teen movie de cette ampleur fait comme ça, sans superstars mises sur un piédestal et sans ordinateur : on n'osait plus s'imaginer qu'il s'en ferait encore à Hollywood.