Lucio Fulci est avant tout connu par les fans de films d’horreur pour ses contributions au genre. Mais sa filmographie est longue et variée, passant d’un genre à l’autre, d’un succès à un échec. Certains n’y ont vu qu’un technicien, un suiveur, et pourtant il possède bien une vision, des idées qui se retrouvent dans ses films. Il a un sens du drame très visuel, qui se retrouve dans Beatrice Cenci (son titre original).
Le film commence par l’annonce du sort d’un petit groupe, condamné à être exécuté. Nous sommes au XVIième siècle. Les réactions sont partagées sur cette exécution. Le spectateur ne sait encore rien de ce qui a mené à ce sort. Un retour en arrière va nous l’apprendre, avec la figure centrale de Francesco Cenci, un noble cupide et violent, toujours au plus près de ses intérêts. Dangereux mais menacé, il est condamné à l’exil dans un de ses châteaux, ce qui ne l’assagira pas. Autour de lui gravitent différents personnages, plus ou moins proches de lui, mais toujours méfiants. Parmi eux sa famille, dont sa fille Beatrice Cenci, un vassal amoureux d’elle, un représentant du pape, un émissaire de la justice locale, et d’autres encore.
Comme le titre français le suggère bien, pour une fois, il est surtout question de Liens d’amour et de sang. Car la famille Cenci devra payer sa faute dans l’expiation physique, d’abord par la torture, puis par l’exécution.
La triste raison de celle-ci ne sera dévoilée qu’à la fin, lors d’une sinistre scène. Le film ne manque pas d’alterner différentes séquences se passant en des temps et des lieux divers. Il est truffé de complots, de machinations ou de petits calculs politiques imbriqués. Le spectateur est perdu, mais progressivement tous les éléments en viennent à s’imbriquer. C’est probablement trop touffu, mais la satisfaction est là, et le film sait jouer de son suspense, de ses mystères.
Le ton est d’ailleurs assez violent, reflétant probablement bien l’avidité de ces temps. Le pire affront possible a été orchestré par la famille Cenci. Il est moralement discutable, mais les intérêts jouent aussi. Lucio Fulci a adapté une histoire authentique, très connue en Italie, c’est le quatrième film à la reprendre. Beatrice Cenci est une figure locale, qui représente la rébellion contre les abus de l’aristocratie. C’est aussi la figure de la jeunesse qui s’oppose à son père, une analogie qu’a peut-être recherché Lucio Fulci à une époque de contestation étudiante puis globale en Italie, ce qu’on appellera les Années de plomb.
C’est la belle et troublante Adrienne La Russa qui l’incarne, dont le regard vous transperce les intérieurs. Droite et fière, mais affaiblie par son conflit avec son père. C’est un personnage tout en nuances, ce que n’est pas la figure paternelle. C’est l’autorité publique et familiale, mais aussi la faiblesse morale, jouée par Georges Wilson, papa de Lambert. Parmi tous les autres acteurs, Umberto D’Orsi qui joue un émissaire de la justice tenace et efficace malgré les apparences, est une agréable copie médiévale de Columbo.
Ce casting est solide, et dirigé par un Lucio Fulci en pleine forme. Le film ne manque pas de moyens, les décors et costumes sont crédibles. Mais, surtout, il filme ses comédiens avec un œil acéré, les mettant en avant. Les jeux de regards sont nombreux entre les personnages, le bien plus souvent très pesants, à l’image de leurs relations. Mais c’est aussi la chair qui est mise au centre de la caméra, pour quelques scènes marquantes. Cette chair qui est malmenée dans les liens d’amour et de sang. Qui est torturée pour avouer, exécutée pour expier. Lucio Fulci sait déjà comment filmer le corps malmené, tel qu’il le continuera dans ses films d’horreur.
Beatrice Cenci n’a pas rencontré un grand succès. Utiliser un tel montage en apparence décousu a pu déplaire. Qui sait, peut-être que le public italien a considéré que c'était une manière un peu vaine de rendre vivante une histoire déjà bien connue. Pour ceux qui ne la connaîtraient pas, surtout de ce côté des Alpes, une telle manière de faire est l’occasion de découvrir tel un puzzle un drame historique assez pesant, que Lucio Fulci a filmé avec une attention certaine pour en faire transpirer toute l’angoisse poisseuse.