Pour vous parler de Limbo, beaucoup auront sans doute convoqué les fantômes de Seven, histoire de diminuer les mérites du nouveau venu, tendance « trop » : trop graphique et poseur, trop classique, trop sommaire tant dans l'enquête que dans l'écriture des personnages qui l'animent.
Comme s'il s'agissait d'enterrer pour de bon le polar made in asia avec une ferveur similaire à celle qui portait aux nues le genre vingt ans plus tôt.
Histoire donc de casser ses jouets préférés dans un geste d'enfant trop gâté.
Et s'il faut avouer que certaines pistes de l'enquête résultent de grosses coïncidences, de tels avatars, mineurs en l'occurrence, ne sauraient faire décrocher du caractère haletant de l'intrigue et de son ambiance poisseuse et malsaine, soutenue par la musique toujours aussi puissante du maestro Kenji Kawai.
Là réside toute l'originalité de Limbo : dans son horizon de décharge à ciel ouvert, décliné dans un noir et blanc tranchant aux antipodes d'un film comme Sin City. Soit les couleurs d'un cloaque malaisant, d'un égout en train de déborder. Soi Cheang filme la mégapole de Hong Kong au stade terminal de sa déliquescence, comme s'il s'agissait d'un cadavre en décomposition. L'univers de Limbo s'impose à l'écran comme un véritable purgatoire dont l'absence de couleur donne la furieuse impression que le décor avale littéralement les personnages qui le hantent et les entraîne au plus profond de l'abîme. Transformant les bas-fonds de la ville en un labyrinthe insondable et putride.
Un labyrinthe sur lequel l'ombre du mal pèse, multipliant les cadavres et les mutilations rituelles pour apaiser les démons et leur fétichisme qui pourraient rappeler le serial killer du remake de Maniac vu par la bande d'Alexandre Aja il y a déjà dix ans.
Limbo navigue dans les méandres de cet enfer via un duo de flics, comme souvent, antagonistes, soit un nouveau venu propret, dont l'image ne résistera pas à l'épreuve du terrain, et un vieux briscard qui emprunte à son collègue de J'Ai Rencontré le Diable sa conception toute particulière de la vengeance. Et si une telle association n'a absolument rien de neuf à offrir, c'est plutôt l'évolution des protagonistes qui retient l'attention dans son aspect sensoriel, avec lequel joue constamment le film.
Qui n'hésite pas à voisiner le registre de l'horreur, à se parer d'un certains côté mélo, qui rappellera par exemple The Insider, ni à braconner sur la brutalité de son action et son urgence, telle que pouvait l'envisager The Chaser. Une violence explosive et sèche, mais surtout déstabilisante, voire malaisante. En tout cas loin de la complaisance que certains ne manqueront pas de mettre en avant.
Le diamant noir offert par Limbo brille donc de mille feux dans le portrait de sa ville aux allures de fin d'un monde. Et de ses survivants maltraités, martyrisés, invisibilisés.
Behind_the_Mask, en pleine grève des éboueurs.