Limbo
6.6
Limbo

Film de Soi Cheang (2021)

  • Limbo est un film hong-kongais réalisé par Soi Cheang. Tourné en scope, le réalisateur décida à la dernière minute de diffuser au public son dernier long-métrage dans une version en noir et blanc. Cette touche originale donne une force et une âme supplémentaires au film : cette direction artistique lui confère une réelle fusion entre les personnages et les décors sans amoindrir la puissance de jeu des acteurs. Limbo donne à l’image cette patine si intéressante aux yeux du public.
  • Ce noir et blanc hypnotique représente les différentes couches et formes composant l’univers du récit. Le noir et blanc a été retravaillé en postproduction : ce n’est pas un simple maquillage cinématographique. Soi Cheang s’est inspiré du film « Sin city » pour son aspect esthétique en noir et blanc et Seven de David Fincher. Bien que la narration policière et cette ambiance pluvieuse soient présentes, la ressemblance s’arrête là. Soi Cheang nous livre un long-métrage où la violence, le pardon et la rédemption cohabitent. Nous le remarquons avec le protagoniste féminin Wong-To baignant dans une spirale de perpétuelle violence. Elle a commis de graves erreurs, des crimes dont elle se sent coupable au point de vivre un véritable enfer. Enfer dont elle aura extrêmement de mal à s’en sortir.
  • La représentation d’Hong-Kong est loin des stéréotypes connus du grand public et la tendance est renversée ici : nous sommes confrontés à une misère omniprésente, à un microcosme poisseux où une communauté parallèle composée d’individus luttant pour leur survie y est intégrée instaurant immédiatement la peur et le désarroi. Ces personnes sont rejetées et oubliées par cette société hongkaise comme le sont les déchets montrés dans ce film et s’entassant au fil de l’eau. Ce microcosme est totalement marginalisé face à cette société hongkongaise vivant dans l’opulence financière. Les plans sont d’une netteté incroyable au point où nous ressentons ce sentiment d’être perdu dans ce labyrinthe sociétal. Il nous fait voyager dans un univers malsain
  • Les personnages sont écrits de manière classique et sont d’autant plus touchant via cette posture d’être ordinaire tout en étant un super héros du quotidien. La plupart des personnages n’ont pas une once de bonté en eux et sont maîtrisés à la perfection. Le film ne vous lâchera pas tant que les personnages n’auront pas résolu leur enquête malgré leur retranchement émotionnel. Ce jeu de labyrinthe et d’enquête ne cesse de nous fasciner avec ses multiples rebondissements. Cette justesse absolue dans l’écriture nous plonge dans ce purgatoire avec la difficulté pour les spectateurs et les personnages de trouver un accès de sortie. Les méandres de l’univers n’ont malheureusement aucune sortie possible. Ils se perdent malgré leur avancée à tâtons. Cet effet est renforcé avec de nombreux plans sans aucune profondeur de champs.
  • La musique du compositeur renforce cette dramaturgie. Le réalisateur aborde des thématiques différentes lorsque nous voyons ces précédents films comme Accident ou Dog bite dog. Il donne une vision de Hong-Kong modernisé via cette cité brassant énormément d’argent. Graphiquement et scénaristiquement, le film est incroyable dans sa trame narrative et esthétique. Nous savons dès le début que le coupable est un clochard coupant la main de ses victimes. Pour quelles raisons ? Nous ne le saurons jamais pendant et à la fin du film. Cette réflexion nous amène à nous demander comment un être humain peut en arriver à ce stade-là (basculer dans le crime en devenant un vrai psychopathe et serial killer) et pour quelle raison il se trouve en liberté et non en hôpital psychiatrique. Limbo nous répond simplement à vous de voir et de vous faire votre propre opinion !
  • Cette enquête est rondement menée par Cham Lau (Ka Tung Lam), un vieux fou dérangé menant son investigation de manière sensorielle flairant le moindre indice avec son nez et son jeune supérieur Will Ren (Mason Lee). Il s’appuie beaucoup sur son instinct et son nez. Cette crasse ressentie pendant « Limbo » par le spectateur donne cette illusion qu’elle va recouvrir l’ensemble des immeubles de Hong-Kong. De plus, cette violence graphique est omniprésente : une scène marquera les esprits du public lorsqu’une femme se fait littéralement tabasser par des hommes. Nous pouvons même nous interroger sur le traitement de la femme. Cette narration visuelle se fait essentiellement grâce aux mouvements de caméra établissant une certaine pression et une tension permanente, notamment la scène de poursuite où Wong-To (Yase Liu) dénonce tous les dealers.
  • Le film est haletant, intense avec une ambiance totalement maîtrisée par son auteur diffusant des touches de violence durant tout le long-métrage. Soi cheang veut faire ressentir la peur viscérale en montrant les situations les plus glauques possibles. Le décor est travaillé avec minutie faisant transpirer cette ambiance pesante. La rédemption des personnages ne se fera qu’au moment où ils se débarrasseront de leur propre culpabilité.
Lili-Jae
10
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le 11 janv. 2024

Critique lue 27 fois

Lili-Jae

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