Emanuele Crialese signe un poignant mélodrame autour d’une mère de famille au bord de la crise de nerfs et qui se réfugie dans la fantaisie pour s’évader de son quotidien morose. Le film doit beaucoup à Pénélope Cruz, absolument prodigieuse dans son interprétation.
A Rome dans les années 1970, Clara et Felice ne s’aiment plus mais sont incapables de se quitter. Désemparée, Clara trouve refuge dans la relation complice qu’elle entretient avec ses trois enfants, en particulier avec l’aînée née dans un corps qui ne lui correspond pas. Faisant fi des jugements, Clara va insuffler de la fantaisie et leur transmettre le goût de la liberté, au détriment de l’équilibre familial.
L’épouse bafouée est une figure récurrente du mélodrame. Clara en est une. Son mari est infidèle, violent, sinistre. Elle ne travaille pas et se consacre exclusivement à sa famille. Bref, un quotidien morne et répétitif dont elle s’échappe par sa fantaisie, sa folie douce (en tout cas au début). Elle met la table en dansant et chantant à tue-tête avec ses enfants. Elle court dans la rue en hurlant, se cache sous la table, éclabousse des mères de famille avec un tuyau d’arrosage. Avec cette fantaisie, Clara cherche à égayer son quotidien et apporter un peu de légèreté à ses enfants. Evidemment, cette folie est une bulle qui finira par éclater car rattrapée par la réalité, Clara ne pourra faire autrement que de s’y confronter violemment.
Ce qui est très réussi, c’est que le cinéaste montre le délitement du mariage des parents à travers le regard des enfants. C’est une idée simple mais bonne et qui fonctionne parfaitement. Les trois enfants entendent leurs parents se disputer à travers le mur. Le couple ne se parle quasiment plus, se regarde à peine, fait semblant devant la grand-mère. On n’est pas dans ‘Le Chat’ de Pierre Granier-Deferre mais il est sûr que ça ne va pas. Les enfants ne peuvent rien faire. L’aînée tente de protéger sa mère, le cadet est totalement atteint qu’il défèque sur la moquette. Surtout la mésentente des parents semble parasiter la relation qu’entretiennent les trois enfants.
L’ensemble du film est d’une délicatesse rare et donc appréciable. Le cinéaste aime ses personnages, les films avec tendresse. La mère bien sûr, mais surtout la fille aînée. C’est une fille née dans un corps qu’elle n’aime pas. Elle pense venir d’une autre planète. Elle voudrait être un garçon, s’habille comme tel, a les cheveux courts, tombe amoureuse d’une gitane. Elle est élégamment regardée, avec tendresse et sans militantisme lourdingue.
Ce film est terriblement italien et rappelle le cinéma italien des années 60-70. J’ai pensé à ‘La fille à la valise’ de Valerio Zurlini. Crialese filme Pénélope Cruz comme Zurlini filmait Claudia Cardinale, avec humanité. Les deux personnages sont deux idéalistes qui veulent s’échapper de leur condition, vivant dans une bulle (Dans le film de Zurlini, le personnage féminin de condition modeste s’éprenait d’un fils de bonne famille). Terriblement italien, disais-je, dans sa manière de conjuguer comique et tragique. Ce film, ce sont des larmes dans du champagne. Les crises se succèdent aux moments d’euphorie et réciproquement.
Parlons des interprétations. Surtout celle de Pénélope Cruz. Elle est franchement exceptionnelle. Elle jongle d’une émotion à l’autre avec une aisance bluffante. Un point ne varie pas, elle est particulièrement émouvante et joue la fêlure de cette femme à la perfection. J’aimerais aussi parler de Luana Giuliani qui joue la fille aînée. Je l’ai trouvé très bonne dans le rôle de cette ado mal dans sa peau, frondeuse mais très sensible. Si Pénélope Cruz joue un personnage exubérant, son jeu à elle est tout en intériorité.
Emanuele Crialese ne réalise pas le chef d’œuvre du siècle mais réalise un très très beau mélodrame sur cette famille, ce couple parentale et cette femme tous dysfonctionnels. Le film est simple, pur, sans cynisme et vraiment poignant. Il vous tirera peut-être quelques larmes aux yeux.