Filmé comme un thriller immersif (on retrouvera même parfois un style à la Michael Mann, avec sa caméra épaule, ses zooms vifs et ses arrière-plans nets sur des personnages flous), L'insulte cache au départ son propos de fond en proposant, refusant une mise en place longue, le récit d'un fait divers qui dérive, d'une altercation comme point de départ, dont l'origine quotidienne en cache finalement une autre plus lointaine.


Dans une première partie, la confrontation entre les deux personnages de Toni, chrétien et engagé politiquement à droite, et Yasser, qu'on apprendra rapidement être un réfugié palestinien, est un bijou de mise en scène, un récit physique qui vaut particulièrement pour l'interprétation de ses deux comédiens, finalement rarement seuls à l'écran.


Dans sa seconde partie, la plus importante, c'est le procès qui les oppose, un genre toujours passionnant lorsque bien fait, qui intéresse Ziad Doueiri. Mais c'est en fin de compte une affaire nationale qui nous est narrée, ou comment une altercation entre deux hommes aux origines et opinions contraires se fait symbole.
Une scène centrale, magistrale, nous montre une émeute entre deux clans au tribunal, et marque le moment précis où se retourne entièrement le film, où l'affaire échappe à ses protagonistes, déborde son simple cadre, où l'embrasement fait décoller le film, lui donnant, un temps, la forme d'une boule de nerfs et de tensions.
C'est à ce moment précis, lorsque les deux hommes sont dépossédés de leur affaire et que celle-ci prend des dimensions incontrôlables, comme prémisses d'une (nouvelle ?) guerre civile, que s'offre l'occasion pour eux, que tout oppose, d'au contraire se rapprocher et de voir dans leur risible altercation une possible opportunité de rapprochement (qui ne sera jamais dit, toujours admirablement suggéré par des regards et des gestes simples, notamment dans ce passage où l'un aide l'autre à réparer sa voiture).


La mise en scène offre un admirable champ-contre champ permanent, qui présente dans une belle égalité les deux camps, avec le même recul et la même absence de parti-pris. Puisque tout part d'une histoire de gouttière et d'une insulte, il faut y voir le trajet simple que ce cas dessine : une insulte, la reconnaissance des fautes de la part des deux bords, et, en ultime mais toute simple étape, une excuse.


Le film pèche parfois par ses excès de mise en scène (flashback inutile, zooms appuyés, musique tour à tour belle ou outrancière), mais a pour mérite d'appuyer clairement là où ça fait mal et deb présenter explicitement son message, comme un coup de poing dans les côtes. Le procès est l'occasion de remettre en question ce que les spectateur a vu du début, dont il ne pensait pas qu'il allait dériver aussi radicalement dans de tels excès. Mais il est surtout celle d'une auto-inspection du Liban par les Libanais, pays qui brûle toujours de son passé.
Personne n'a le monopole de la souffrance, dira une avocate. Personne n'a non plus celui de la haine, ni celui de la culpabilité.


Pour un profane (ce qui est mon cas), le film est en plus un moment didactique qui permet d'en apprendre plus sur la guerre civile qui ravage(a) le Liban, ce pays mosaïque qui souffre de ses divisions, de sa pluralité d'histoires, de religions, d'origines et de désirs. Il permet une remise en cause de ce qu'on pensait acquis de notre côté du Globe, et propose une relecture de l'Histoire bénéfique, livrant un message clair d'union par-delà les différences.


C'est finalement en cela que le verdict du procès n'a aucun intérêt, et qu'il n'est pas l'objet-même de ce film qui prend pourtant la forme d'un trial movie ; l'objectif n'est pas là.
Ce verdict donc, qu'on soit d'accord ou non avec, n'est pas appuyé et instantanément occulté pour se concentrer sur l'essentiel : l'entente possible entre des personnes qui n'ont en commun qu'un même territoire de vie.
D'où ce sentiment qu'après presque deux heures menées tambour battant, le verdict, quelqu'en soit le contenu, tout comme le film, prend la forme d'un soupir de soulagement, et un appel clair à une chose simple : que tout cela s'arrête, et vite.


On en revient finalement au symbole discrètement glissé du nouveau-né, cet enfant qui entend tout, qui ressent tout, même dans le ventre de sa mère, et auquel il faut sans cesse penser pour bâtir un monde futur qui ne soit plus le même, une société enfin vidée de toutes ses futiles et mortifères tensions.

Créée

le 27 déc. 2020

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Charles Dubois

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