Le genre super-héroïque a semble-t-il tendance à s'enliser, depuis quelques années! Composé presqu'exclusivement de blockbusters de plus en plus interchangeables, ne justifiant leur existence que par des coups de coudes aux spectateurs ou des promesses d'Univers partagés, le tout en agressant la pupille des esthètes avec des couleurs de plus en plus ternes et pastel, dignes du papier-peint collé au mur dont on veut se débarrasser, des fx et fonds vert de plus en plus criards et des acteurs de plus en plus monolithiques, on serait en droit de se dire que le concept même n'a plus rien à offrir depuis longtemps... Pourtant, une fois tous les dix ans, un petit miracle se produit: un auteur parvient à s'immiscer dans la mécanique bien huilée des studios, à imprégner un univers de sa patte voire à faire passer des partis-pris de réalisation interdits, en temps normal. Les anglosaxons appellent cela "commettre un hold-up". Logan appartient définitivement à cette catégorie de films, en parvenant non seulement à vitaliser une saga sur le déclin, mais également en s'inscrivant comme un jalon de la carrière de son metteur en scène James Mangold. Le tout, enfin, en dressant l'état des lieux du genre et de la franchise en elle-même. Comment Mangold a-t-il réalisé pareil tour de passe-passe cinématographique?

Lifting et remise à neuf

Constat sans appel dès les premières minutes du long-métrage: Logan sera un film à part de la franchise "X-men", loin de son décorum, de ses personnages emblématiques et de ses thèmes habituels. Que ce soit par sa volonté de traiter de la vieillesse et de la déliquescence d'un homme usé par le temps et par une détresse psychologique incurable, que ce soit dans le fait de lorgner du coté d'œuvres résolument dans l'ère du temps, pour ne pas dire anticipatives d'un monde de plus en plus en proie au désastre écologique et aux dérives capitalistes tels que "Children of Men" "Mad max fury road" ou "Blade Runner 2", Logan adresse un magnifique bras d'honneur aux formules des studios DC/Warner et Disney/Marvel, qui, même lorsqu'ils se retrouvent à devoir traiter de l'échec du super-héroïsme, de monde post-apo, ou de réalités alternatives, s'arrangent toujours pour rester dans un environnement "propre", sans identité, volontairement aseptisé pour être facilement exportable à l'international. (Mais bon, je ne vais pas m'étendre là-dessus outre-mesure, étant donné que j'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de m'en plaindre). Ce qu'il est toutefois intéressant de noter est que ce traitement à l'opposé des attentes des studios s'avère parfaitement en accord avec la volonté de fragiliser l'aura du personnage ainsi qu'une illustration de la violence de son Univers. Tout en permettant une remise au goût du jour salvateur de la saga ainsi qu'un retour à un cinéma bardé de référence, Mangold embrasse le coté sombre et désabusé de Wolverine par une mise en image crépusculaire, servie par la photographie non moins sale et funeste de John Mathieson. Très honnêtement, je n'étais pas sorti d'un film de super-héros avec autant de plans marquants et d'idées de mise en scène depuis très longtemps... Et à mesure que les années passent, les images du film me revienne inlassablement, chaque fois qu'on annonce un "Deadpool 3", "Joker 2" et autre "Flash", tant de films qui prétendent briser le moule avant de se révéler exactement pareils aux autres.

Un casting de freaks

La rupture ne se fait pas qu'au niveau de son visuel mais également du coté des acteurs. Le long-métrage apparait comme une nouvelle occasion pour Hugh Jackman de prouver qu'il est un immense comédien, n'en déplaise à ses détracteurs. Son interprétation d'un mutant grabataire, irascible et plus sauvage que jamais, tranche radicalement avec les films précédents, notamment en comparaison du premier opus de sa carrière solo. Ce Wolverine ne sourit quasiment jamais, ne se précipite plus à la rescousse de la veuve et l'orphelin, et son visage comme son corps meurtri exprime la souffrance par tous les pores. Les autres protagonistes ne sont pas en reste, Patrick Stewart en tête, qui nous livre une performance déchirante, totalement à contre emploi de son rôle de mentor sage et avisé. Le choc est brutal pour le fan d'X-men de découvrir le grand bonze dans un état aussi déplorable, en proie à la sénilité et à la perte de contrôle de ses pouvoirs (sans trop en dévoiler). Enfin, la grosse révélation du film: X23, incarnée par l'actrice Dafne Keen âgée de 12 ans au moment du tournage, qui se hisse à la hauteur des immenses interprètes qu'elle côtoie, volant même la vedette au mutant griffu-si c'est pas un comble. Personnage qui contribue, avec Hitgirl et Catwoman, à montrer aux spectateurs comme aux multinationales ce que signifie (anti)super-héroïne... Bien loin de Gal Gadot dans son costume rutilant des couleurs de l'Oncle Sam ou de Scarlett Johanson dont l'enjeu depuis quelques années semble être de sortir des répliques de collégienne vite lassante en se cambrant à la manière d'un(e) contorsionniste aguichant(e). Laura/X23 plutôt que d'être un simple ressort narratif du récit en devient le moteur, et ça c'est quand même pas rien, étant donné le poids pesant sur les frêles épaules de la gamine... Enfin, "frêles", façon de parler!

Violences à tous les étages

Si Logan marque par la violence de ses partis-pris de mise en scène et de scénario, il ne faudrait pas oublier l'évidence: le film ne fait pas dans la dentelle niveau brutalité esthétique. Alors, ça peut sembler normal pour un récit traitant d'un homme sauvage découpant ses adversaires en fines lamelles, sauf qu'à bien y regarder, les précédents opus se montraient quand même bien sages niveau séquences "graphiques". Il n'en est rien dans celui-ci: l'œuvre n'hésite pas à verser dans le trash et on ne compte plus les scènes où le sang gicle en plein visage. Ce parti-pris en rebutera certain mais à aucun moment la promo où les responsables n'ont manqué de transparence à cet égard, ai-je envie dire. Et puis, contrairement à énormément de blockbuster, cette violence sert le propos et garde un coté esthétique. L'intérêt de cet aspect crade et sordide réside dans le fait d'inscrire Logan dans l'héritage du western crépusculaire, en témoigne les nombreuses allusions aux plus grands représentants du genre. La note d'intention de son réalisateur a été, semble-t-il, de dresser le bilan du genre super héroïque sous l'angle du vieillissement. Le long-métrage se permet ainsi une progression introspective, sous forme de road-trip à travers l'Amérique profonde. Sous un ciel oppressant, perpétuellement ensoleillé, les personnages avancent péniblement, croisant sur la route mercenaires et Red necks n'attendant qu'une occasion de manifester leur hostilité à l'encontre des parias. Bref, Mangold dépeint une Amérique en déliquescence, offrant par là-même une vraie plus value vis-à-vis du reste de la franchise.

Pour résumer, Logan est une vraie proposition de cinéma et un des derniers sursauts du genre super-héroïque.

Aegus
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le 8 juin 2024

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