Il faut se battre pour retrouver quoi que ce soit de Thomas Vinterberg dans ce petit téléfilm mélodramatique, gorgé de violons et platement adapté de la superbe œuvre de Thomas Hardy. Succéder au Tess de Roman Polanski n'est certes pas chose facile, mais la superbe bande-annonce de Loin de la foule déchaînée laissait néanmoins présager une de ces romance épiques de l'âge d'or hollywoodien aujourd'hui disparues, faites de décors peints et de passions violentes, hommage confirmé par Vinterberg lui-même à l'avant-première parisienne de son film. Le résultat, d'une monotonie et d'une littéralité confondantes (voire notamment l'affreuse scène dans les bois, conjurant maladroitement le symbole phallique de l'épée), ne pouvait pas en être plus éloigné. On savait le cinéaste danois généreux sur le pathos depuis Festen, rongé par une fureur sentimentale à peine canalisée par son cynisme ; quelle déception de le retrouver toujours aussi sirupeux mais désormais dénué de toute colère, comme si la noirceur pourtant sans équivoque du roman de Thomas Hardy n'avait pas suffit à l'intéresser à cette commande de toute évidence réalisée sans passion.
Bathsheba et ses multiples prétendants virevoltent ainsi pendant deux heures d'un marivaudage sans relief, dont les rebondissements parfois tragiques et souvent téléphonés peinent à sortir le spectateur de l'indifférence la plus totale. C'est que du côté de l'étude de caractères, Loin de la foule déchaînée n'a pas beaucoup plus à offrir : Bathsheba, peut-être trop impeccablement interprétée par la studieuse Carey Mulligan, passe ainsi son temps à répéter avec force qu'elle est indépendante, noyant les nuances infinies de l'héroïne de Thomas Hardy dans la maladresse de dialogues souvent trop explicites et à peine remontés par quelques saillies humoristiques bienvenues. Oak, Troy et Boldwood se partagent comme dans le roman différents traits caractéristiques du héros victorien (la sagesse, la fougue et le pouvoir, dans des allégories souvent associées au "médiévalisme victorien") habilement pervertis par Thomas Hardy, bien moins par Vinterberg qui expédie au moins deux d'entre eux à toute vitesse. Le cinéaste aura au moins avoué à demi-mot, visiblement heurté à l'avant-première par une question polémique sur la durée particulièrement ramassée du film, avoir dû se battre avec Fox Searchlight contre les coupes diverses apportées au montage, mais sans jamais révéler lequel des deux partis est sorti vainqueur de ce choc des titans. Loin de la foule déchaînée, dont la personnalité refoulée ne brille qu'à de rares occasions (lorsqu'un mouvement se prolonge dans une ellipse, ou lorsqu'un très gros plan échappé du Dogme 95 vient perturber la perfection d'un panoramique), pourrait donc tout aussi bien être l'œuvre dépossédée de Thomas Vinterberg. Reste qu'à son éclat continuellement inexistant, le tout dernier film du maître danois ne donne pas la moindre envie d'en découvrir plus.