C’est fascinant de voir portée à l’écran l’interprétation d’une œuvre littéraire très courte, fut-elle (au moins pour la base) tirée une nouvelle d’Albert Camus. C’est ce que vient d’accomplir, non sans un certain talent, David Oelhoffen avec « Loin des hommes ». « L’hôte », texte d’une dizaine de pages, ne semblait pas se prêter, au niveau du contenu, à une quelconque adaptation cinématographie. L’œuvre étant plus dans la suggestion des faits et des comportements, à charge pour le lecteur d’en combler à son aise les vides. C’est dans cet état d’esprit qu’Oelhoffen s’en accapare, et en donne une réinterprétation complète en allant même jusqu’à en modifier la fin. Il développe un contexte implicite chez Camus, en renforçant d’abord le caractère et le vécu des deux protagonistes, mais surtout en intégrant le fait de guerre (sans pour autant ne jamais la mentionner) comme une réalité présente et non une menace. Mais « Loin des hommes » n’est pas pour autant un exercice de style. C’est une mise en lumière (les prises de vues sont éclatantes) d’une rencontre, avec ses contrastes (le joug de la colonie), ses questionnements (l’appartenance d’un homme à la terre ou à la nation) entre ces deux hommes qui n’étaient pas appelés à se rencontrer. Et la rencontre est généreuse et radieuse, au moins sur le papier. Car si Reda Ketab, tout en intériorité est extraordinairement poignant, Vigo Mortensen peine à nous faire croire vraiment à son rôle de Daru. Ce scepticisme tient plus à sa nationalité (qu’il soit un pied-noir espagnol semble improbable) qu’à son interprétation à laquelle il apporte foi. Passé donc un petit temps d’adaptation, on se laisse porter par ce fascinant récit, brillamment illustré musicalement par Nick Cave et Warren Ellis. Sourde est l’émotion au début, elle monte crescendo, presqu’à notre insu, jusqu’à atteindre son paroxysme sur les deux scènes finales, si représentatives du contexte social d’alors. Sans grands effets, tout en profondeur, « Loin des hommes » est un film fragile et sincère.