Loin du paradis est une critique soignée et franche de l’Amérique corsetée des années 50. Grâce à une photographie soignée — sur-saturée juste ce qu’il faut pour servir son propos — des costumes et des décors choisis avec minutie et le recours à des archétypes de l’époque (téléviseur, cocktail-party…), Todd Haynes arrive très rapidement à poser aussi bien un lieu, une ambiance mais aussi un cadre social, celui de la classe aisée américaine bien-pensante mais très conservatrice.
Loin du paradis porte un regard très moderne sur cette époque, et traite du racisme et de l’homophobie, ainsi que des rôles de l’homme et de la femme aussi bien dans l’espace public que privé. Cette parabole, bien que renforcé par l’époque, peut encore s’appliquer aujourd’hui, car la société n’a pas dépassé certains de ces préjugés. Le film est porté par les excellentes prestations de Julianne Moore, Patrica Clarkson et Dennis Haysbert, à la fois forts et vulnérables.
Je reproche au réalisateur d’avoir voulu aborder trop de sujets et parfois d’en délaisser un au profit d’un autre ; ainsi le carcan domestique disparait au profit de la situation du mari, qui elle même s’efface peu à peu face à l’amitié interraciale et ses conséquences. Par exemple Dennis Quaid se fait totalement effacer par Julianne Moore, dont le rôle et les intentions mouvantes dominent en bien comme en mal le film. Et si chaque sujet est traité tour à tour avec de très belles scènes et cadrages, le final est pour moi un peu confus et en demi-teinte, renforcé par un rythme parfois trop lent.
Todd Haynes veut évoquer toute la complexité d’une société et d’une époque dans un seul film, et il estime autant de sujets. Un beau film, à la fois élégant, franc et cruel, qui manque d’un soupçon de passion et de synthèse sur la fin.