Voyager au même rythme que les personnages, sillonner les routes le temps d’un film, est pour ceux qui aiment voyager, souvent agréable pour combler le manque d’aventure. Quand Green Book nous entraînait dans les routes du sud américain avec Mahershala Ali en janvier, Long way home nous plonge dans un périple sur les routes de Philadelphie, rempli de vengeance.
Long Way Home a clairement deux moments, deux temps, deux rythmes différents. Le film commence doucement avec une histoire qui a du mal à prendre, la réalisatrice contextualise le futur voyage en bus à travers des personnages, qui ont, au début, du mal à toucher. Pourtant, leur histoire est émouvante et la dureté du destin de ces deux sœurs a de quoi remuer. Une mère tuée par leur père et une adolescence passée en prison pour l’aînée. Le film a au début tout de ceux qui mettent en scène la misère des banlieues aux États-Unis, la détresse des jeunes laissés à l’abandon, un langage de rue et des nuits passés à trouver un endroit pour dormir. Angel incarne cette minorité. Que ce soit par sa couleur de peau ou son orientation sexuelle, le personnage central du film est indéniablement l’évocation de la marge que Jordana Spiro veut défendre, raconter, montrer à travers un regard tendre et bienveillant. Si l’émotion a du mal à vivre au début, les failles qu’Angel laisse peu à peu entrevoir et la rencontre que le spectateur fait avec la jeune femme ne fait qu’ajouter de la profondeur à son personnage et étoffer sa psychologie, son vécu.
Ni bon, ni mauvais, le film se laisse clairement regarder durant la première partie sans révolutionner quoi que ce soit, ni briller d’intensité mais éclate réellement au moment du départ, à la recherche d’un père criminel et là, passionne en proposant des mutations dans la construction de son personnage central. La musique et les expressions réussissent à émouvoir notamment grâce à cette opposition entre le côté dure à cuire que prend Angel et sa maîtrise des armes, et la quête de son père meurtrier qui est surtout là pour annoncer le manque de sa mère destructeur. S’en suit une aventure et des mésaventures de voyages où les mots et les regards ont toute leur importance entre les deux sœurs. Que ce soit dans leur manière de se parler, de se chercher, d’être méchante l’une envers l’autre, la complexité de leur rapport fait naître toute l’intensité de leur peine, réciproque. Ce voyage, est pour chacune d’entre elles, le moyen de se découvrir elle-même mais également de trouver en l’autre ce qu’elle ne soupçonnait pas. Deux jeunes femmes en pleine introspection, c’est finalement cette histoire que livre la réalisatrice. Quand la plus âgée est en pleine reconstruction, Abby, elle ne fait que se construire et découvre ce que c’est de devenir une femme peu à peu. Angel devient alors parfois la mère perdue qu’elle n’a plus, la limite est parfois très fine entre grande sœur et maman, non sans chaos, non sans éclats de voix et larmes mais toujours avec un amour, non dit, mais bien ressenti.
Long Way Home est un conte poétique ou le bruit des voitures imite celui des vagues pour raconter l’absence et le manque d’une mère. Et la place de la mer y a toute son importance puisqu’elle livre un des plus beaux moments du film, à l’instar de la scène dans l’eau dans Moonlight entre Chiron et son parrain spirituel, les deux sœurs renouent les liens dans un moment de communion très beau, à la plage. Une belle première pour Jordana Spiro en tant que réalisatrice.
À lire sur Le MagduCiné