Dans les années 70s et plus encore 80s a lieu aux Etats-Unis la Satanic Panic qui loin d'être un festival de musique curieux ou un parti politique qu'on ne saurait placé sur l'échiquier politique est une vague de paranoïa qui a pris de court le pays le plus puritain et vulgaire qui soit.
Cindy Lauper ou Donjons & Dragons, même combat, tout était l'œuvre du malin et sans en arriver aux excès d'un Fahrenheit 451, l'Amérique comptait bien purger sa culture qui déteignait sur une société en perte de repère.
Et ça j'en ai entendu parlé pour la première fois dans une vidéo de l'excellent Sturry qui est un analyste de... catch. Parce que oui, même le catch, aussi con qu'il puisse paraître pour les néophyte a su s’imprégner du contexte de son époque, des modes et des peurs. Véritable marqueur de son temps, il ne pouvait donc passer à côté de sujets comme ça qui étaient du pain béni pour l'écriture de personnages forcément pas très très gentils. Et puis comme aiment le dire les jeunes fans, It's cinema.
Mais alors justement le cinéma, lui qui en a bouffé de l'occultisme et des vagues de panique, il fait quoi ? Eh ben dans le cas de Longlegs pas grand chose puisque comme aime à nous le rappeler les portraits des États-Unis l'action se déroule sous Clinton et sous Nixon pour les flash-backs soit avant et après la période évoquée en intro. Alors non ce n'est pas un manquement grave mais juste un regret quant à un des nombreux angles qu'aurait pu emprunté le film. Et je sens bien que je risque de radoter avec ma précédente critique film qui -et ça m'inquiète un peu- traitait aussi du doute qu'on peut laisser chez le spectateur à propos de démon ou pas démon.
Car chez Oz Perkins aussi on joue avec notre incrédulité, le cinéma sait qu'on sait, le cinéma joue avec le fait qu'on sait et on aime ça. Je ne parle juste du fait de jouer avec l'attente d'un jumpscare, avec les cadrages qui peuvent laisser venir quelqu'un ou quelque chose ou avec la musique toute en rupture et crescendos mais avec le fait qu'un film de surnaturel a trois fins possibles : tout était faux, tout était vrai ou ne saura jamais (y a aussi le c'était un rêve mais nik). Dès lors, l'œil aguerri d'un•e cinéphile cherchera les indices et les fausses pistes mais en tant d'années de cinéma le voyage est devenu bien plus important que la destination. S'il sera impossible de contenter tout le public avec une réponse tranchées (ou non), c'est dans la manière que le film a de manipuler son auditoire, dans les thématiques et les réflexions qu'il aborde que ce fera le charme.
Alors Longlegs prend le parti de s'ouvrir comme une enquête policière. Je me foutais bien de savoir ce que disait la promo pour vendre la bobine mais force est de constaté que les références sautent aux yeux assez vite et que même sans une connaissance ultra pointue de son cinéma, on a tous•tes en tête un duo d'agent•e•s du fbi, de la police ou de qu'importe, d'indices impossibles à résoudre, et d'un•e serial killer qui joue avec les nerfs d'à peu près tout le monde sur fond de meurtres horribles. Vous pouvez même citez la série esprits criminels si vous voulez, personne ne vous jugera ici, c'est une safe critique.
Mais donc soit, on embarque dans cette virée qu'on sent quand même bien particulière puisque la scène d'ouverture, quelques plans cryptiques à déconseiller aux ophiophobies (ou aux phobiques de la couleur rouge) et d'autres indices laissent suggérer que rien ne se déroulera à la manière d'un Zodiac. Et de toute façon c'était mal barré puisque le code est craqué au bout de quelques minutes, sans que les messages n'aient plus aucune importance après (mais ça devait faire beau dans les trailers).
Et finalement est-ce un mal que le surnaturel entre dans le réel ? Qui blamera Ari Aster ou Jordan Peel pour ça ? Qu'importe la fin, ce qu'on veut c'est les moyens. Or Longlegs ne joue jamais complètement la carte du doute. Par son héroïne pas loin d'être mutique et dénue de sentiments, on ne perçoit guère la fine frontière entre la folie pure et le rationalisme bétonné. Il y a bien l'agent Carter qui émet de temps à autre un doute mais jamais clairement il n'accusera Lee Harker d'être une potentielle coupable et préfèrera aller boire un verre dans un bar lounge avant de faire une visite en famille parce queeeeeeee ???
Et on sent déjà à ce moment que le film veut juste placer ses billes pour la suite. Dans un enchainement de chaînes qui sonnent creux, Lee rencontre une famille sans qu'aucun affect ne ressort de tout ça. On retient juste qu'il y a une petite fille. Qui a peut-être une date de naissance qui tombe vers la moitié du mois de février, ou de mars.
Alors si le basculement ne vient pas de la protagoniste, c'est peut-être dans le Longlegs lui-même que viendra le salut ? Fidèle à une longue tradition du cinéma d'horreur, le grand méchant fait durer la tension en ne se montrant jamais totalement. Hors-champ, trop loin, mal éclairé, il rode et sa présence insuffle un malaise palpable. Mais parce qu'il faut des twists et parce qu'il faut justifier la présence d'une STAR, le film joue vite sa carte maîtresse. Et voici donc qu'arrive le plus gros problème du long métrage, Nicolas Cage. Car au-delà de toute appréciation du jeu d'acteur il faut reconnaître à monsieur Cage qu'il appartient à une très rare catégorie d'acteurices qui sont bien plus que leurs rôles. Iels sont des produits.
Entre œuvre d'art et pur produit marketing, Nicolas Cage est un nom, une marque, une personnage, une voix, mille looks, un mème. Il a même été le sujet d'un film dans lequel il joue et ici il est producteur tout autant que boogeyman. Alors Nicolas Cage quand bien même on le masquerait entièrement, crie, chante, en fait des caisses. Il crève l'écran parce que c'est ce qu'il a toujours fait et que crever l'écran, littéralement, n'est pas bon signe. Nicolas Cage nous ramène à la réalité, on regarde un film, on le regarde lui, lui qui se fait plaisir, qui rajoute un énième rôle qu'on énumèrera dans des rétrospectives de 30 PERSONNAGES LES PLUS INCROYABLES DE SA CARRIÈRE.
La suite, c'est un méchant qui raconte son plan, un méchant qui se fait capturer exprès, un méchant qui se suicide parce qu'en fait ce n'était pas lui le vrai méchant, un méchant qui n'aura donc servi à rien, qui n'aura rien dit, qui se voulait marquant en tant que parodie d'un membre de groupe d'heavy metal. Et justement, en replaçant son film dans le contexte de la Satanic Panic, Perkins aurait pu jouer avec les peurs d'une Amérique qui découvre de nouveaux genre musicaux, une contre culture qui se joue des codes et aiment provoquer. Le doute aurait pu s'installer non pas dans le fait que le personnage semble trop ridicule pour être dangereux mais que dans les années 70-80 il était dangereux parce que différent. C'est symptomatique de la scène avec la vendeuse qui se fiche bien du look du criminel mais en a juste marre de son attitude (et je comprends le fait de ne pas vouloir la faire paraître faible mais du coup à part pour esquisser un sourire, la scène est anecdotique, on ne laisse même pas planer un doute sur sa survie). C'est tout autant symptomatique que de l'évocation de Charles Manson qui a réellement contribué à la panique du diable.
Longlegs manque son sujet parce que mise à part quelques éléments contextuels, l'enquêtes reste cantonné à quelques personnages, le monde n'existe pas autour et les personnages sont hors sol. Dès lors, le finish ne marque pas de vrai rupture avec ce qu'on a pu voir avant. La famille est toujours aussi malaisante, Alicia Witt joue toujours la folle sans trop y croire et un easter egg finit d'enterrer nos doutes. Oui, on ne vous avait pas dit ? Voici le top 10 des apparitions de la bête à cornes dans Longlegs !!!
J'ai personnellement du mal à penser qu'à part offrir un bonbon aux youtubeurs du dimanche et autre site "spécialisés" cinéma, les différentes apparitions ont un quelconque intérêt. Déjà parce que la plupart ont été décidés en post-prod, qu'elles sont si subtiles parfois que le film veut donc bien qu'on puisse s'en passer et qu'enfin ce qu'elles apportent au film par leur nombre et leur placement n'est pas toujours évident, quoi qu'en dise le réalisateur en interview. Et j'en veux pour exemple la dernière, celle de la porte (la seule que j'ai vu au visionnage d'ailleurs). Initialement, elle a été rajouté pour des besoins pratiques à savoir cacher le reflet de caméra. Ça prête à sourire sauf que ben ça pourrait dire quelque chose. La caméra c'est aussi l'œil du spectateur. Notre curiosité morbide c'est ce qui a poussé la superstar Cage a faire ce qu'il a fait, à surjouer parce que c'est tout ce qu'on attend de lui et parce que tout ce qu'on attend d'un film d'horreur, c'est l'horreur. La fascination du spectateurice pour ce qui pourrait arriver trouve sa pleine satisfaction dans les révélations finales. La bête à corne, c'est la masse dans les salles obscures, c'est le public qui lève deux doigts lors d'un concert de Judas Priest, c'est l'enfant qui hue l'Undertaker. Le rideau peut se fermer, le public démiurge en a eu pour son argent, les personnages ne sont que des poupées qu'un•e réalisateurice peut remplir d'idées. Fin du carnaval.
Mais non. Non car les apparitions ne sont pas toute dans des reflets. Donc il est bien question de dire texto que le personnage principal est poursuivie par le Mal depuis sa jeunesse, et qu'on en fera bien toute les conjectures qu'on veut sur la famille nucléaire qui explose et un père qui absent, mauvais, qui n'apparaît qu'en filigrane (je ne ferais pas l'affront de spoiler un film d'horreur des années 2010 mais je sais, vous savez, on sait). Et même là on est que dans la pure hypothèse alors que quitte à mettre les pieds dans le plat, Longlegs aurait pu le faire sur cette thématique et pour preuve voilà ce que nous dit un article de Vice : "Les parents n’avaient pas seulement peur de Satan. Ils avaient peur tout court. La famille américaine, telle qu’elle était traditionnellement construite, a connu de nombreux bouleversements au début des années 80. Depuis les années 70, le nombre de divorces n’avait pas cessé d’augmenter et de plus en plus de femmes travaillaient hors de leur foyer. Pour la première fois, des parents confiaient leurs enfants à des étrangers, dans des garderies, et beaucoup ne savaient pas ce que leurs enfants faisaient après l’école, puisqu’ils n’étaient pas à la maison pour les surveiller. C’était une source d’inquiétude légitime. Mais quand les tabloïds et les talk shows ont commencé à aborder le sujet des cultes sataniques et des adorateurs du diable, ils ont commencé à entrevoir une menace bien réelle et à craindre pour la sécurité de leurs enfants."
Je ne prétends pas vouloir refaire le film, lui inventer une meilleure thématique ou théoriser sur le vaste sujet qu'est la Panique Satanique mais il m'apparaît important de montrer en quoi un film plein de potentiel et -parce qu'il faut bien à un moment lister les qualités- avec de si bonnes atmosphère/direction artistique se veut très intelligent en ne faisant finalement pas grand chose si ce n'est tenter de nous surprendre dans son scénario comme autant de jumpscares facile (BOUH en fait c'était la mère BOUH en fait c'était l'diable). Je citais Peele et Aster non pas parce que je suis un petit hipster (en tout cas pas seulement) mais parce que le premier a su s'emparer de tout un tas de problématiques sociales pour en faire corps quant au second il a su faire du doute de ses protagonistes celui de son public. Perkins veut juste nous montrer qu'on avait pas vu les indices depuis le début, qu'on ne pouvait de toute façon pas les voir et nous n'avons même pas été hypnotisés. On est une bête à corne mais peut être pas celle qu'on croyait.