Si la forme avait toujours eu une très grande importance dans l’œuvre de David Lynch, elle a à partir du très dense « Fire walk with me » commencé à prendre une ampleur particulière, à cesser d’être un moyen de traiter de thématiques précises (ce qui était superbement fait dans « Blue velvet » par exemple) pour faire corps avec elles ; « Mulholland Drive » et « Inland Empire » sont des exemples typiques de films où les sujets traités sont indissociables de leur manifestations proprement filmiques.

À cet égard, c’est sans doute « Lost highway » qui fait office de film paroxystique, puisque la forme semble y avoir littéralement absorbé le fond ; en effet, le film n’a l’air de ne parler de rien, de ne mener nulle part, de finalement se replier sur lui-même (bien que de nombreuses interprétations, notamment psychanalytiques, restent permises). Bien sûr, la réalisation est virtuose, la construction géniale (où les scènes se font signe d’un bout à l’autre du récit, bifurquent puis se rejoignent), l’esthétique sublime (peut être plus que dans n’importe quel autre film du cinéaste – ce qui n’est pas un mince exploit) … Mais de quoi est-il réellement question ? Le film est-il aussi dénué de but ou de destination que ce que son titre laisse présager ?

En fait, Lynch offre peut être ici rien de moins que sa réalisation la plus consacrée au setpième art et à l’amour de l’expérimentation. Il y convoque des fragments de pur cinéma, joue avec les genres, se les réapproprie : les quarantes premières minutes du film sont sidérantes en ce qu’elles renferment en non-dits et en tension, en angoisse brute ; la suite apparaît comme un maelstrom où se côtoient le film noir, (dont le cinéaste fait désormais siens les codes), le romantisme exacerbé, le comique, le sensuel, le thriller contemporain, le voyeurisme, l’expérimentation pure, les multiples références cinématographiques (la maison dans le désert, clair hommage à Aldrich) … On ne saurait énumérer toutes les composantes de « Lost highway », comme on ne saurait rester de marbre devant la portée artistique, devant sa puissance sensitive qui a sans doute peu d’équivalents dans le cinéma des vingt dernières années – et plus encore.

Il s’agit donc avant toute chose d’un chef-d’œuvre de pure recherche formelle, d’une intelligence et d’une originalité de tout instant. Mais cet assemblage de formes d’essence cinématographique ne s’enferme jamais dans une sorte de froideur théorique : si le cinéma se regarde lui-même, il est également regardé. Ainsi, comme toujours chez Lynch, le résultat dispose d’une dimension émotionnelle primordiale, afin de ne jamais laisser le spectateur sur le bord de la route, et de l’emmener se perdre avec lui dans un monde éprouvant mais flamboyant.
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le 17 févr. 2013

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