On l'attendait au tournant le Ryan. Et ça n'a pas manqué. Lorsque Lost River est dévoilé à Cannes, l'accueil est pour le moins réservé. On lui reproche alors de manquer de personnalité, d'emprunter à des réalisateurs (ses réalisateurs fétiches) des univers qui ne lui appartiennent pas. On lui en veut aussi pour s'être entouré d'une équipe de choc (Johnny Jewel qui avait collaboré à la BO de Drive notamment), et qu'il n'y est donc pour rien dans la réussite tant visuelle que sonore du film. Mais plus que tout, on lui reproche d'être Ryan Gosling, le beau-gosse du moment qui a réussi avec brio à se reconvertir en acteur branché. Quand on y pense, toutes ces critiques sont presque extérieures au film. On ne regarde pas le contenu mais le contenant. On blâme Ryan Gosling d'avoir fait quelque chose de beau parce que c'est Ryan Gosling. Il faut avouer qu'on frise le paradoxe.
Car ces critiques, il ne les mérite pas.
Comment peut-on en vouloir à un réalisateur de s'inspirer d'autres réalisateurs ? Il est rare de tomber sur de jeunes prodiges qui arrivent, dès leur premier film, à s'inventer un univers qui leur est totalement propre et dont il est impossible de trouver la moindre influence d'un quelconque confrère. Xavier Dolan reconnaît être influencé par Gus Van Sant ou Paul Thomas Anderson, Nicolas Winding Refn avoue avoir pris exemple sur John Cassavetes, Martin Scorcese ou Andrei Tarkovsky. On pourrait citer d'autres exemples tant ils sont nombreux et pour des réalisateurs plus illustres. C'est donc une drôle de critique venant des professionnels du monde du cinéma. Alors, on devrait plutôt se réjouir que Ryan tire son inspiration de Refn, Malick, Argento ou Lynch. Non ?
Ensuite, reprocher à un réalisateur d'avoir su s'entourer d'une bonne équipe est pour le moins étrange. Faudrait-il s'entourer d'inconnus ou d'une mauvaise équipe pour espérer une bonne critique ? On conviendra que c'est absurde. Sinon Le Baltringue (délicieux film avec en vedette Vincent Lagaf, et dont le titre laisse imaginer le pire) aurait dû obtenir 3T dans Télérama.
Finalement, si l'on oublie Ryan Gosling un instant, que vaut le film?
C'est beau visuellement. L'image est vraiment réussie, on se laisse très vite transporté dans l'univers fantasmagorique d'un Detroit à l'abandon où subsistent encore quelques âmes, pas toutes charitables.
La musique est chouette, électro comme dans les films de son mentor number one et contribue à donner une atmosphère underground à une ville laissée à elle-même.
L'univers est décalé, étrange, intriguant, beau.
Les acteurs sont tous bons, même si l'on regrette qu'ils ne soient pas toujours très développés (Reda Kateb ?). Hendricks crève l'écran en poupée de porcelaine obligée de trouver de l'argent pour sauver sa petite bicoque qui tombe en ruine au milieu d'un quartier envahit par les herbes folles. Eva Mendes est plutôt marrante en artiste de cirque sanguinaire, mais garde un petit rôle, il ne faudrait pas non plus qu'on dise qu'elle ait été pistonnée. Enfin, Lost River a le mérite de montrer au monde les talents de danseur façon Saturday Nigh Fever de Ben Mendelsohn dans une scène épique.
Le film est court, et, si on se laisse porter et si on adhère à l'univers Gosling, alors il passera vraiment très vite. Trop vite ?
C'est un premier film vraiment convaincant, n'en déplaise aux aigris. Il ne reste plus qu'à transformer l'essai !
Allez Ryan !