En 2015, Sion SONO est devenu l'un des réalisateurs contemporains les plus populaires du Japon, si ce n'est le plus populaire. Avec pas moins de quatre films à l'affiche, un téléfilm, un film direct-to-DVD et presque autant de projets en développement, son nom est partout et sur toutes les lèvres. Au milieu de plusieurs films de commande, SONO signe avec Love & Peace un de ses films les plus personnels, véritable introspection de la part d'un cinéaste passé des tournages guérillas au sommet du box-office.
Love & Peace nous invite à suivre les aventures grandiloquentes de Ryoichi, éternel perdant au quotidien morose, humilié par ses collègues, risée du monde entier, et rock-star dans l'âme. Alors qu'il se lie d'amitié avec une tortue qu'il a décidé d'adopter, il est rapidement contraint de l'abandonner. Du plus profond de son désespoir, Ryoichi trouvera la force de réaliser ses rêves de grandeur, avec l'espoir de retrouver sa chère tortue, qui, de son côté, va mystérieusement faire de même…
À l'instar de son réalisateur devenu trop grand trop vite, Love & Peace nous raconte l'histoire de ce loser devenu rock-star et de cette tortue devenue kaijū. À travers ce film, Sion SONO fait le point sur sa carrière et règle ses comptes, bardant le film d'auto-références. On peut ainsi entendre dans la bande-son les thèmes de Strange Circus et de Noriko's Dinner Table, tous deux sortis en 2005, dix ans avant Love & Peace. On retrouve également les costumes tirés de The Land Of Hope (2012) ou encore la fameuse chanson de Why Don't You Play In Hell? (2013) réinterprétée par le groupe Revolution Q qui accompagne Ryoichi dans le film, et qui n'est autre que le projet musical de Sion SONO.
Étant devenu un des réalisateurs les plus en vogue du Japon, il convient de se demander si Sion SONO ne va pas perdre sa verve et la rage de son cinéma au profit de projets commerciaux. À la vue de son prochain projet personnel annoncé – The Whispering Star – on peut être soulagé de voir que le réalisateur n'a pas dit son dernier mot et que son cinéma continuera de mériter sa réputation sulfureuse.
Ainsi, même Love & Peace, sous ses airs de comédie familiale, ne fait pas dans la dentelle. Après une ouverture caustique critiquant ouvertement l'aveuglement du peuple japonais vis-à-vis du gouvernement, des Jeux Olympiques de 2020 et de l'Histoire de l'archipel, Sion SONO n'hésite pas à nommer cette tortue géante, idole populaire aimée de tous, Pikadon (surnom donné à la bombe atomique).
Alors qu'il s'était dans ses films illustré comme un fervent défenseur de la jeunesse, Sion SONO l'accable aujourd'hui avec des phrases acides ; "Je ne sais pas qui a bombardé le Japon en 1945 ; mais sûrement pas les États-Unis, ce sont nos amis.".
Sous la comédie, le second niveau de lecture du film en fait un véritable pacifiste et anti-nucléaire.
Love & Peace est servi par un casting de qualité composé d'habitués des films de Sion SONO. On retrouve ainsi dans le rôle principal Hiroki HASEGAWA, déjà vu dans Why Don't You Play In Hell ?, qui illumine le film d'une incroyable performance, faisant de Ryoichi un personnage aux facettes multiples.
On peut également noter les présences de Makita Sports (Minna Esper Dayo, The Virgin Psychics) Tōru TEZUKA (Himizu), Eita OKUNO (Tokyo Tribe) ou encore Motoki FUKAMI, qui a participé à plusieurs films de SONO depuis Hazard (2005).
Enfin, il convient de noter les cameos d'Erina MANO, actrice récurrente des films de Sion SONO depuis sa participation à Minna Esper Dayo (2013) et surtout de Megumi KAGURAZAKA, muse de SONO depuis Guilty Of Romance (2011) et épouse du réalisateur, filmée dans un touchant rôle de mère.
Avec son exercice de style en grand écart, entre comédie familiale et film de kaijū, et son double niveau de lecture, Love & Peace s'inscrit dans la filmographie de Sion SONO comme son long-métrage le plus fouillé et en fait un film qui parvient à concilier l'exigence d'un cinéma d'auteur et la légèreté d'un film grand public, pour tous les âges.