Si Diogène de Sinope était de notre siècle, immanquablement on le surnommerait « Lucky ». Il vit dans un presque dénuement dans une petite ville du désert. Chapeau, veste à la cowboy, jeans trop larges. Silhouette décharnée, mais l’oeil vif, humour froid et franc parler chacun le connaît et le respecte. Ses invectives, son sens de la répartie et sa grande sagesse sont les signes d’un homme qui a vécu, et qui n’a peur de rien. Ou plutôt si… de la mort. A vrai dire, il n’y pense jamais mais depuis quelques temps son corps ne répond plus comme avant.
Et s’il se refuse à l’évidence, médecin, amis, ou étrangers, eux ne manquent pas de lui faire penser. Alors que sa vie est réglée comme papier à musique (le lait dans le frigo, les émissions de télé à heures fixes, le rythme de ses sorties…), qu’il économise sur tout (les vêtements identiques bien rangés…) et s’économise lui-même, comment cela serait-il possible ? D’autant que l’esprit est encore là très vif et pas seulement pour compléter ses mots croisés…
Commence alors une pseudo quête spirituelle, où sens de la vie, solitude et mort seront les mots clés. « Lucky » qui jusque là ne semblait avoir besoin de personne s’ouvre, s’interroge, se livre (juste ce qu’il faut).
Et là comme soleil qui déploie ses rayons après la pluie, ce n’est pas Diogène, ce n’est plus Lucky que l’on voit à l’écran mais bel et bien Harry Dean Stanton, l’éternel second couteau qui a tourné dans plus de 120 films et dont on a l’impression justement qu’il ne s’arrêtera jamais après 7 décennies… De toutes les évolutions du cinéma américain, il est témoin, se faisant un « Nom » et reconnu par les plus grands Wenders, David Lynch, Nick Cassavetes… et Tavernier dans « La mort en direct ».
John Caroll Lynch réalise un film hypnotique admirablement construit autour de cet acteur attachant dédaigné du système mais reconnu par les meilleurs. Un film hommage tout en symbolique, profondément humain qui n’est autre que le rôle de sa vie.
Et quand Harry Dean Stanton sur une toute fin presque surexposée de soleil se met à nous sourire avant de continuer sa route, c’est comme s’il nous remerciait de l’avoir accompagné pendant toutes ces années. Une manière à lui de nous rassurer en nous disant qu’il peut partir serein, il a vécu libre et heureux loin du star system en restant intègre et droit.
A ce sourire, je défie quiconque de ne pas avoir en travers de la gorge, un nœud bien consistant, qui vous empêche presque de respirer. Salut l’artiste !