Je me souviens d’Harry Dean Stanton marchant inlassablement dans le désert, dans Paris Texas de Wim Wenders. On a l’impression de le retrouver des années après dans cette petite bourgade perdue du Sud-Ouest Américain, la démarche un peu moins soutenue, mais l’intention identique, celle de marcher jusqu’au bout de la nuit, jusqu’au bout de la vie.
Lucky est vieux et fragile, au point qu’on ne serait pas surpris qu’un coup de vent intempestif ne l’emporte trop loin, jusqu’au seuil de non retour. Mais malgré son paquet de clopes quotidien, il tient fièrement la forme pour son âge (90 ans et des poussières). Il fait consciencieusement sa gym matinale, entre clope et café et s’exerce l’esprit entre jeux télé et mots croisés, entretient sa vie sociale au snack du coin ou à l’épicerie où il achète son litron de lait et surtout fait part de sa philosophie de la vie parmi les clients d’un bar du soir. On a droit à de belles scènes poético-absurdes , un peu dans le style de Paterson de Jim Jarmush et le personnage de Lucky s’avère aussi savoureux qu’attachant, à la fois ronchon et frondeur, mais également émouvant à ses heures, capable de pousser la chansonnette en espagnol pour l’anniversaire d’un petit mexicain.
Pour lui Dieu n'existe pas, l'âme non plus. Nous allons tous disparaître un jour ou l'autre. Tout va disparaître. Et quand on lui demande : "Que pouvons nous faire ?" Il répond malicieux : "juste sourire".
Harry Dean Stanton crève l’écran, la mise en scène de John Carroll Lynch, acteur dont c'est le premier film en tant que réalisateur (et qui n'a pas de lien de parenté avec David Lynch qui joue dans le film) est très stylée, avec moult gros plans sur le corps de l’acteur, ses bottes, son chapeau, son réveil, ses cigarettes …
La musique est également très bonne.
Lucky n’est sans doute pas le film de l’année, mais il possède pas mal de charme et de drôlerie et constitue un bel hommage à Harry Dean Stanton, qui vient de mourir en septembre.