Luchino Visconti s'est confronté à un personnage d'exception : Louis II de Bavière, ce souverain d'un beau royaume d'opérette, bâtisseur fou de châteaux de contes de fées, romantique attardé, rebelle à la politique, aux guerres et aux complots sordides, et qui ne rêve que d'instaurer dans son royaume un ministère de la beauté et de l'art dont Richard Wagner serait le ministre.
Visconti se livre à une sorte d'étude clinique de ce monarque prétendu fou, en auscultant 22 années d'Histoire de la Bavière et de l'Europe centrale, en faisant la peinture d'une déchéance progressive, du monde de ce roi esthète qui s'écroule et dont Bismarck avalera la dépouille. L'homme fascine Visconti, il scrute sur le beau visage d'Helmut Berger les ravages du temps, le cheveu qui s'étiole, la paupière qui rougit, le teint qui blanchit, les dents qui noircissent (au passage, ces effets de maquillage sont remarquables). Il démontre que cet homme est le symbole de l'aristocrate menacé par l'avènement d'un monde nouveau, c'est un prince humaniste un peu comme l'était Salina dans le Guépard, mais c'est aussi le poète romantique que l'ivresse des sens conduit au bord de l'abîme, et à ce titre l'homosexualité refoulée du roi est évoquée sans pudeur mais sans excès, dans toute sa malédiction. Tout ceci rend pathétique le portrait de Louis II. Une seule femme est apte à le comprendre, sa cousine Elisabeth d'Autriche, la fameuse Sissi que Romy Schneider, bouleversante de charme, a accepté de personnifier à nouveau pour Visconti, mais dans une vision moins mièvre que celle vue dans les films qu'elle tourna à ses débuts. Les scènes entre Sissi et Ludwig sont parmi les plus belles.
Tourné dans les décors fabuleux des grands châteaux bâtis par le monarque, tels Herrenchiemsee, Hohenschwangau, Linderhof et surtout le plus fantasmagorique, Neushwanstein à l'architecture d'une grande audace mais aussi d'une exubérance folle, le film est magnifié par la musique de Wagner (ainsi que par des morceaux de Schumann et Offenbach), Visconti réussit un somptueux spectacle, grandiose, baroque, hyper soigné et plein de magnificence, une oeuvre démesurée, une splendeur visuelle qu'il faut préférer voir dans sa version de 4h, à condition d'aimer le beau. Helmut Berger personnifie un roi Louis II magnifique, trouvant là le rôle de sa vie, très performant dans cette lente décrépitude physique et morale, tandis que Trevor Howard est aussi un très bon Wagner ; le reste de la distribution est constituée d'acteurs allemands, italiens et français (impératif de la co-production de ces 3 pays) où l'on reconnait Gert Froebe, Umberto Orsini, Silvana Mangano, Marc Porel ou Helmut Griem... Un film à voir absolument, véritable symphonie funèbre pour un roi maudit.