Ce fut donc le deuxième Visconti que je me visionne, celui-ci et probablement celui qui reste envers et contre tout mon préféré tant ce film testament est l'essence même non seulement du style à la Visconti mais également du Romantisme allemand si fascinant. mon préféré du Maître, de peu devant le Guépard et au thème similaire : la fin d'un monde auquel il appartenait lui-même en tant que descendant de la famille ducale de Milan (la grande aristocratie), ce qui le rend plus poignant. et bien sûr, la touche personnelle de ce film: une ambiance wagnérienne, crépusculaire à souhaits, prophétique sur certaines scènes dont une magnifique scène de Romy Schneider, dans la scène du pavillon pompéien de l'Ile aux Roses sur le lac de Starnberg : "Oublie tes rêves, les Rois ne laissent guère de trace dans l'Histoire. Nous sommes en vitrine. L'Histoire nous oubliera, à moins qu'un fou ne parvienne à nous rendre importants en nous assassinant". Comment ne pas penser en écoutant sa plus mythique incarnation prononcer cet avertissement que c'est justement au bord d'un autre lac (celui de Genève) que la souveraine anarchiste, entera dans la légende le 10 septembre 1898, par le geste d'un autre anarchiste ?
Mais surtout au delà l'évidente poésie élégiaque qui se dégage de ces œuvres, s'il y a une seule et unique chose que j'aime chez Visconti, c'est sa maniaquerie de le reconstitution exacte, ciselée avec tellement de précision qu'on se retrouve facilement comme happés dans l'époque qu'il met en scène, si somptueusement, ici, comme de coutume. Et à ce vaste convoyé par les costumes, signés par son fidèle collaborateur Piero Tosi, ajoute encore le fait qu'il ait eu l'autorisation exceptionnelle de tourner son drame en décors naturels entre les différents châteaux gothiquement fantasmagoriques de l'excentrique souverain et la Kaiser Villa de Bad Ischl, en Autriche, pour quelque rares scènes.
Pour ma part, bien que le film soit centré sur Ludwig II, j'aurais surtout retenu la présence de Romy Schneider, que j'ai l'impression de redécouvrir voire de découvrir, à chaque fois que je vois ce Crépuscule des Dieux, dans cette réinterprétation surprenante d'un rôle dont elle a voulu s'écarter : tout en revenant à son rôle le plus emblématique, elle brise complétement la première image qu'elle en donnait ou lui donne une autre image beaucoup plus aboutie, rendant par là-même pleinement justice au "Lys Noir", auquel vont sa préférence et la mienne : une Elizabeth d'Autriche plus profonde entre part d'ombre et de lumière, ambivalente, cynique, "vénéneuse" et désabusée, tellement désabusée de Franz Jozef et du reste que ça la trilogie de Marischka (se voit sous un autre angle, pour moi, alors qu'elle n'est pas dans le même esthétique et je dois quand même avouer une certaine tendresse pour cette dernière). Cette magnifique mouette des mers, comme se surnommait elle-même l'impératrice anarchiste traverse le film comme un ange ténébreux, en écho au destin tragique de son interprète qui disparaîtra prématurément dix ans après. Est-ce le destin si étonnamment parallèle de ces deux figures austro-bavaroises francophiles nées à un petit siècle de distance l'une de l'autre qui me rend si sensible à cette incarnation du personnage ? Ou la façon de Romy de remercier Visconti, en qui elle avait une totale confiance, de lui avoir permit de retrouver un début de seconde carrière dans un moment, où elle était au creux de la vague, avec cette splendide performance à se damner ? Toujours est-il que je suis fascinée comme rarement, à chaque vision.
Sans oublier, naturellement, un autre comédien récurrent de Visconti, le séduisant Helmut Berger qui nous compose un magnifique et presque effrayant Ludwig II follement passionné du maître de Bayreuth (ici incarné par l'excellentissime Trevor Howard) , et mégalo qui se réfugie dans la musique pour ne pas voir s'effondrer le royaume de Bavière, peu à peu victime de l'Unification de l'Allemagne sous l'égide de la Prusse bismarkienne. Un bel hommage de sa part au "roi des rêves", à l'Aigle, comme le surnommait Sisi. Ode funèbre pour le fier pays germanique au Lion mais aussi pour son souverain qui veut "rester libre de chercher le bonheur dans l'impossible" comme il le dit lui-même, face à une Impératrice Elizabeth consciente de la ruine, du rôle de figuration des monarques et torturée, campée par une Romy Schneider à la présence impériale. En outre, le duo Schneider-Berger, complice, est vraiment fascinant dans la relation ambivalente entre leur deux personnages!
Et bien sûr autre gros point pour ce film, sa BO qui emprunte, d'ailleurs, très judicieusement à Wagner certaines de ses compositions (son envoûtant Lohengrin, son captivant Tannhäuser et son poignant Tristan) mais aussi, j'ai eu un coup de cœur pour ses vues superbes de Neuschwanstein, en particulier, et autres paysages notamment dans les scènes sous la neige. Du grand, si ce n'est très grand film dirigé par un Visconti inspiré et porté par des acteurs de talent! Lequel me rappelle en plus mes pays de cœur, où j'ai pu me rendre, et me rend nostalgique d'eux.