A l'époque de "Blinkende Lygter", Anders Thomas Jensen n'avait pas encore montré ses talents de scénariste. Susanne Bier n'avait pas encore réalisé "Open Hearts", ni "After the Wedding" ; "Les Bouchers Verts" et "Adam's Apple" n'étaient pas encore sur les rails. Nous faisions donc face aux prémisses de son écriture et de sa réalisation. Et déjà son univers se distingue.
Comme nombre de réalisateurs scandinaves, Jensen créé une densité scénaristique à travers ses personnages en leur donnant une existence propre. Au détour d'une conversation, il serait possible de parler d'eux, d'évoquer leurs histoires, leur passé, de donner des pistes explicatives de leurs comportements, de les faire exister en dehors du film. "Blinkende Lygter" distingue l'entité de quatre personnes, réunies par la complexité de leur passif et leur envie de progrès. L'histoire de ces quatre brigands en fuite n'a pas grande importance en elle-même, servant surtout de support à l'évolution de ces êtres et au récit de leur amitié. On le saura plus tard, la loyauté et les liens amicaux sont des valeurs essentielles pour le réalisateur. Ce même qui n'hésite jamais à faire sortir Mads Mikkelsen de ses rôles de bellâtre, de le grimer au point de le rendre crasseux, presque écœurant, lui permettant alors de fournir quelques unes de ses plus belles performances. Car un lien s'installe entre Nikolaj Lie Kaas et lui. Une symbiose d'expression qui se joue sur les regards et la proximité, transposant un simple jeu d'acteur à une relation tenace et incontestable.
Mise à part une direction d'acteur exemplaire, Jensen propose une mise en scène à la symbolique forte et limpide. Pour autant, pas question pour lui de transvaser sa consistance dans des plans iconiques, ni de flécher son parcours pour offrir une meilleure compréhension au spectateur. Il laisse libre court à son idée en laissant à chacun la possibilité d'interpréter ou non ses images, tout en s’émancipant d'une mise en scène léchée et esthétisée que l'on pourrait qualifier de "belle". Bien au contraire, Jensen est amoureux du laid. Chaque instant de beauté de "Blinkende Lygter" se laisse désamorcer par la laideur. Oh que la mer est belle, encore plus lorsque tu marches sur des enfances avortées, un peu comme cet écureuil que l'on préfère mort. On y retrace la futilité de la vie, cette manière dont les émotions ne peuvent se contenter d'un positivisme ambiant, l'homme est fait de cette dualité entre bien et mal, laid et beau.
Pas de raison donc de jouer avec les lumières, les couleurs, les textures. La réalité se suffit, et la réalité est grise. Les montées émotionnelles s'accompagnent de musique, brusquement brisée par le silence, la violence du concret. Jensen est cynique, on le devine. Il l'est uniquement par son décalage entre ce que l'on attend d'un film et ce qu'il nous présente. Car là où certains chaloupent à travers des dialogues romancés, lui se contente de faire interagir les situations entre elles, sans que l'on puisse se douter de celle qui viendra ensuite. Là où l'absurde se profile habituellement à travers des comédies, le cinéaste l'inclut dans des drames. Bien que ses films soient souvent estampillés de la mention "comédie", on en est loin, on rit jaune, nerveux et gênés.
Jensen retire de sa mise en scène tout effort et artifice, cette tendance au plan fixe sans cadrage calculé est sans doute le seul manque que l'on peut attribuer à l'artiste tant tout le reste est fluide, cohérent dans son esprit, novateur et original. C'est sans prétention qu'il nous présente l'histoire de cette renaissance, construite avec le cœur et l'âme, qui s'inscrit comme la plus sincère de ses œuvres à ce jour.