Moins de deux ans après Climax, Gaspar Noé est de retour avec un moyen-métrage dont l’annonce d’Yves Saint Laurent à la production avait de quoi effrayer. Pourtant, cette nouvelle n’a rien d’étonnant. Si Irréversible a fait découvrir le réalisateur au grand public, c’est bien son porno chic Love qui l’a banalisé. La preuve en est que son film suivant, Climax, a été un succès au box-office et a trouvé un public de cinéphiles arty dont A24 -qui a distribué le film aux Etats-Unis- est l’une des grandes références. Gaspar Noé est désormais chic, et son cinéma ne retrouvera sans doute jamais sa radicalité passée. Posé ce constat défaitiste, que vaut Lux Æterna ?
Outre Béatrice Dalle et Charlotte Gainsbourg, la grande star du film n’est autre que l’écran scindé, qui brille par son manque d’inventivité. Le procédé fait son apparition lors d’une séquence de dialogue entre les deux actrices, dont les visages sont placés côte-à-côte sur deux écrans distincts. Le plan large était-il trop ringard pour Gaspar Noé ? Si vous êtes un adepte des écrans de veille, vous pourrez vous réjouir de la présence d’une cheminée sur la moitié de l’écran lorsque les personnages parlent, comme-si le crépitement du feu en hors-champ ne suffisait pas à créer une ambiance. Quand l’écran scindé se fait plus utile par la suite, il n’en demeure pas moins fainéant. Comment montrer le chaos d’un tournage avec cette idée de mise en scène ? La réponse du réalisateur est simple : en affichant simultanément deux événements se déroulant dans deux lieux différents, dialogues compris. Evidemment, le chaos se crée de lui-même quoi qu’il arrive : placez deux scènes dialoguées côte-à-côte et vous n’y comprendrez rien, sans même avoir eu à réfléchir au montage ou au hors-champ. A part cette idée principale, quelques rares trouvailles sympathiques viennent parfois pointer le bout de leur nez, comme un écran scindé entre un poursuivant et une poursuivie. Il faut également mentionner la sublime photographie de Benoît Debie dont on ne remettra jamais en cause le talent, déjà à l’oeuvre sur les films du réalisateur depuis Irréversible.
Sur le plan formel, Lux Æterna s’avère donc être une déception. Alors qu’en est-il du fond ? Si Gaspar Noé n’a pas vocation à devenir un grand auteur, il n’en a jamais été aussi loin. Le réalisateur fait un portrait très négatif du cinéma : Béatrice Dalle est débordée, en conflit avec son chef opérateur et son producteur, les acteurs sont négligés et le tournage est un véritable moulin sur lequel tout le monde peut pénétrer. Contrairement à Climax, le spectateur est privé du plaisir de voir le chaos se former peu à peu : toute l’équipe du film est en conflit dès les premiers échanges et ne fait absolument rien pour s’entendre, ce qui n’est cette-fois ci pas un problème de Sangria. Dès lors, impossible de prendre au sérieux ces personnages qui ne servent qu’à créer du chaos sans aucune réflexion, puisqu’on ne peut pas comprendre comment ils en sont arrivé à de telles extrémités. Pour enrichir son “propos” sur l’importance de l’art, le film est ponctué de citations forcées à Fassbinder, Dreyer, Godard et Buñuel, dont la dernière fait grincer des dents : “Dieu merci je suis Athée”. Gaspar Noé a-t-il eu l’impression d’aborder la moindre thématique religieuse avec pertinence ? Se pense-t-il dissident en critiquant la chasse aux sorcières plus de quatre-vingt dix ans après La passion de Jeanne d’Arc, ou s’agit-il d’un énième panneau de texte irréfléchi et placé là parce que c’est drôle, comme la filmographie du réalisateur en pullule ?
Jamais Gaspar Noé n’avait été aussi puéril dans ses intentions : filmer le chaos pour le chaos, montrer un chef opérateur devenir un psychopathe sans raison, et surtout, exploser les yeux du spectateur avec des lumières stroboscopiques. Comme suggéré par la bande-annonce, les dix dernières minutes de Lux Æterna sont désagréables au possible à cause d’incessants flashs de lumières tricolores. Jamais Gaspar Noé n’avait été aussi primaire, aussi loin de toute performance pour faire vivre des sensations fortes à son spectateur. Le premier véritable raté du réalisateur, qui s’éloigne de plus en plus du fameux film de la maturité.
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