Le Lynx comme un Sphynx a serré mon Larynx

Effectivement je suis resté sans voix devant la beauté majestueuse de cet énigmatique chaton des forêts jurassiennes.

J'avais beaucoup aimé la Panthère des neiges mais la princesse se faisait un peu trop désirer à mon goût. Il fallait attendre une bonne heure avant de la voir arriver dans le champ. Rien à voir avec le documentaire de Laurent Geslin, où l'on voit le lynx dès les premières secondes et puis tout le long du film avec une générosité remarquable.

La scène du lâcher de lynx, tout au début, qui hésite un peu avant de sortir de sa boîte puis s'élance dans la neige en courant, filmé d'en haut, est à couper le souffle. La sensation de liberté qui s'en dégage est proprement incroyable. Le film est à peine commencé que l'on s'émerveille déjà comme un enfant. Quel bel animal ! Quelle silhouette curieuse ! Je me rends compte que je n'avais pas du tout une idée claire de l'anatomie du lynx. Les petits plumeaux noirs sur les oreilles je connaissais, comme tout le monde, mais je ne savais pas qu'il avait des pattes aussi longues, et cette petite queue noire en manchon lui donne une allure étrange, celle d'un chien ou d'une hyène. Félin devant, yéti-canidé derrière. Et puis il n'y a pas que le lynx dans ce poignant documentaire, on y trouve aussi le pic-vert entreprenant, la chouette érudite, le faucon pèlerin, la blanche hermine, le renard narquois, le chamois bondissant, la laie et ses marcassins trottinants, le cerf imposant et le petit concurrent du lynx, le chat sauvage dodu, qui viennent tous jouer leur partition dans cette symphonie vivante des forêts du Jura.

C'est un enchantement pour les yeux, et en même temps qui ne prend pas le spectateur pour un imbécile. La nature est filmée comme ce qu'elle est, dans sa beauté comme dans sa cruauté. Et puis il y a aussi la menace humaine. Comment ne pas éprouver une peine immense en voyant les cadavres des deux jeunes mâles, l'un tué par braconnier, l'autre renversé par une voiture ? Le réalisateur capturent leurs premiers pas, leurs premiers jeux, nous y assistons comme si nous étions à quelques mètres d'eux puis nous les retrouvons morts, à peine quelques mois plus tard.

Je terminerai en disant que ce documentaire nous donne tout : l'agréable, le beau et le sublime.

L'agréable, ce sont ces renardeaux bien en rang, ce pic-vert qui mitraille l'écorce, ces petits bouquetins qui sautent en l'air comme s'ils étaient montés sur ressorts.

Le beau c'est le lynx. Le lynx plaît universellement sans concept. Il n'y a pas de relativité du jugement de goût concernant le lynx.

Enfin, le sublime c'est cette forêt jurassienne immense dans laquelle vient se jouer la tragi-comédie du vivant. Plus tragique que comique d'ailleurs. Cette forêt est impressionnante, austère, mystique. Elle n'est pas un décor ou un paysage mais un véritable colosse recouvert de givre ou immobile dans la brume que transperce un soleil matinal. Il est si grand qu'il nous humilie. La forêt jurassienne est sublime parce qu'elle suscite en nous le sentiment du respect.