Vingt ans après s'être occupé du film de Fritz Lang, M le maudit, Harold Nebenzal produit un remake, accompagné de son fils, et c'est Joseph Losey qui s'y colle, pour une œuvre de commande d'une grande réussite.
Elle est réussie dans le sens où les passages obligés du film de Lang sont là, la petite fille au ballon, voire certains plans filmés à l'identique, mais il parle aussi furieusement de son époque, qui est celle de la chasse aux sorcières. Souvenons-nous que M date de 1951, que le Maccarthysme bat son plein, et que la chasse aux communistes est quasiment un sport national.
Dans le film de Losey, la ville de Los Angeles est en ébullition à cause d'un tueur en série, nommé M, qui étrangle des petites filles. Comme personne ne sait à quoi il ressemble, chacun accuse l'autre, jusqu'à des scènes de lynchage où si un vieil homme aide une petite fille à remettre sa chaussure à la suite d'une chute, ou un père accompagnant sa progéniture au cinéma, il se fera tabasser.
Je garde un très bon souvenir de M le maudit, et il va sans dire que c'est un chef d’œuvre, ce que je ne remets pas en cause. Seulement, dans le cas du remake, je trouve que Joseph Losey s'en sort vraiment bien, car, si il est obligé de copier à plusieurs reprises le film de Lang, il lui donne de sa personnalité. Déjà, cette ambiance délétère où tout le monde se méfie de tout le monde. Ensuite, la composition du tueur, incarné par un superbe David Wayne, qui est très différent de Peter Lorre. Ce dernier jouait avant tout sur son physique disgracieux pour susciter la peur, et là, Wayne est un type ordinaire, mais qui est plus dans le domaine de la psychiatrie, qui semble-t-il a eu un conflit œdipien avec sa mère, et qui semble trouver sa jouissance dans la strangulation de ces petites filles. Le seul plan où on le voit dans le lit, le visage dans le pénombre, montre la dualité du personnage.
Et enfin, le rôle de l'avocat, incarné par l'excellent Luther Adler y est considérablement plus développé, et représente quelque part la morale du film, notamment ce final magnifique dans un parking qui sonne terriblement avec son époque.
Losey a su également adapter le remake à son temps ; tournage en extérieurs à Los Angeles, lumière rappelant fortement le Film Noir, et, c'est un signe du réalisateur, plusieurs plans-séquences, dont le dernier sur M qui est magnifique.
Le film a été très rare depuis sa sortie, car ô malheur, on a osé toucher à une œuvre séminale, le M de Fritz Lang : c'est oublier que ce dernier a lui aussi repris deux films de Jean Renoir ! C'est pour cela que la redécouverte du film de Losey est capitale, car c'est non seulement un film excellent, complémentaire de la version originale, mais qui démontre aussi le formidable début de carrière du réalisateur ; Le rôdeur, Le garçon aux cheveux verts...